Le vaudeville de Labiche représente l'apogée d'un genre théâtral spécifiquement français qui connaît son âge d'or au milieu du XIXè siècle. Eugène Labiche (1815-1888), en collaboration avec Marc-Michel (1812-1868), révolutionne ce genre populaire en créant en 1851 Le Chapeau de paille d'Italie, premier vaudeville en cinq actes qui marque l'invention du « vaudeville de mouvement » succédant au « vaudeville de situation » traditionnel. Cette innovation structurelle correspond à une transformation profonde du genre par le passage d'une succession de sketches musicaux à une véritable architecture dramatique cohérente.

Dès sa création, Labiche développe une esthétique du mouvement perpétuel où l'action ne s'interrompt jamais, créant ce qu'il appelle lui-même une « course-poursuite » effrénée qui structure toute la pièce. La mécanique dramaturgique repose sur l'art des préparations et la double énonciation qui rend le public complice, toujours plus informé que les personnages. Les mécanismes comiques du vaudeville labichéen s'articulent autour de l'accumulation des malentendus, du comique de répétition, et surtout de cette dynamique incessante qui maintient le spectateur en haleine. Labiche observe la société bourgeoise du Second Empire naissant avec l'œil du satiriste : « Je me suis adonné presque exclusivement à l'étude du bourgeois, du "philistin" ; cet animal offre des ressources sans nombre à qui sait le voir. »

Cette critique sociale se déploie à travers des situations burlesques qui révèlent l'absurdité des conventions sociales et la vanité des préoccupations bourgeoises. Le vaudeville labichéen se caractérise également par sa dimension populaire de théâtre accessible à tous et sa dimension métathéâtrale : les personnages sont souvent conscients de jouer un rôle, créant un effet de distanciation qui anticipe les innovations dramaturgiques ultérieures. Enfin, l'héritage de Labiche influence le théâtre de Feydeau à Ionesco, par son questionnement sur la condition humaine bourgeoise.