L’origine du jugement moral
Pourquoi jugeons-nous un acte, un caractère ou un sentiment bon ou mauvais, vicieux ou vertueux ? On distingue deux thèses concernant l’origine du jugement moral :
- Une thèse rationaliste : elle considère que le jugement moral est fondé sur des notions innées de bonté ou de mal, ou bien sur une analyse des rapports entre des idées.
- Une thèse sentimentaliste : celle de Hutcheson, qui considère que le jugement moral dépend d’un sentiment inné en l’être humain qui nous porte à apprécier ce qui est bon et à rejeter ce qui est mal.
La position de Hume est une version subtile du sentimentalisme moral. Ainsi,
a) La raison, en tant que telle, n’a aucune force motivante ni axiologique : elle ne considère que des rapports entre des idées. L’analyse rationnelle d’un crime ne conduit pas à exprimer un jugement sur celui-ci, sauf si l’on considère que l’intention du criminel ou le résultat sont mauvais : « jamais on ne pourra établir la moralité sur des rapports ou relations ; il faut avoir recours aux décisions du sentiment » (Enquête sur les principes de la morale, Appendice, I).
b) L’évaluation morale trouve bien son origine dans un sentiment qui nous porte à considérer les actes qui sont utiles à la personne qui les produit ou à la société comme source de plaisir et donc comme vertueux, et les actes qui sont néfastes comme sources de déplaisir et donc vicieux.
c) Il ne s’agit pas pourtant d’une appréciation simple, car on ne peut se prononcer sur un cas qu’en connaissance de cause et la raison « assiste » le sentiment en ce sens. Un raisonnement peut donc précéder la décision morale (celle-ci gagnera alors en finesse).
Sympathie et extension de la sympathie
Il faut souligner alors trois points :
- Le jugement moral n’est pas simplement le fait de celui qui est blessé par une conduite ou une personne ; c’est surtout celui d’un spectateur qui peut juger que tel autre s’est mal conduit envers un tiers. Il repose sur un processus de sympathie par lequel nous ressentons le même sentiment que celui ressenti par la personne lésée ou par la personne à laquelle l’acte a été utile. C’est ce processus de sympathie qui garantit que le sentiment moral n’est pas simplement un sentiment intéressé.
- La sympathie cependant fonctionne sur la base de la contiguïté et de la ressemblance : nous ressentons les sentiments qu’autrui ressent parce qu’il est proche de nous et nous ressemble. Comment élargir le sens moral, qui doit pouvoir porter des jugements sur ceux que nous ne connaissons pas, et qui sont différents de nous ? Hume souligne qu’il fait concevoir un processus de correction de notre sentiment immédiat : le spectateur qui juge moralement corrige son sentiment immédiat en imaginant ce qu’il ressentirait s’il était proche des bénéficiaires ou des victimes.
- Hume insiste donc sur le fait que, si le sentiment moral est naturel, c’est-à-dire commun à l’humanité, il doit, pour devenir plus juste, faire l’objet d’une éducation et d’un raffinement. Par ailleurs, la « conversation » participe à un développement des capacités du jugement moral, car elle nous oblige, pour les besoins de la compréhension mutuelle, à nous mettre à la place d’autres personnes pour lesquelles nous n’avons pas nécessairement d’intérêt particulier.
Hume souligne que le sentiment à l’origine du jugement moral est « naturel », mais pour lui, cela ne signifie pas qu’il est d’emblée parfait, ni juste, mais simplement que nous avons tendance à ressentir un plaisir devant les manifestations de la vertu. En revanche, « naturel » ne renvoie pas pour Hume à l’idée que le jugement moral est spontanément acquis, de manière immédiate ; il se construit et s’acquiert dans le contexte de la civilisation humaine. Comme celle-ci est commune à une grande partie de l’espèce humaine, on peut donc dire que le jugement moral est à la fois naturel et acquis, il est comme une seconde nature :
« Le naturel peut être opposé à ce qui est inusité, merveilleux ou artificiel. Dans les deux premières significations, il n’est pas douteux que la justice et la propriété ne soient des choses naturelles, mais comme elle supposent de la raison, de la prévoyance, du dessein, une union et une association, peut-être que l’on ne peut point à la rigueur leur appliquer la dernière signification. Si les hommes n’eussent point vécu en société jamais la propriété n’eût été connue, et jamais la justice et l’injustice n’eussent existé ; mais la raison et la prévoyance ont établi la société, qui ne subsisterait pas sans elles » (Enquête sur les principes de la morale, Appendice, II).
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