Les conditions du jugement moral

Dans l’Éthique à Nicomaque (livre III), Aristote recherche les conditions qui permettent d’imputer à un agent son action : dans quelle mesure peut-on blâmer ou louer une action ? Autrement dit, le jugement moral (« une action est vertueuse ») n’est pas possible dans toutes les circonstances. Pour qu’une action soit susceptible d’un jugement moral, il faut qu’elle soit volontaire.

L’enjeu est :

  • Politique : l’éloge et le blâme structurent les rapports sociaux et définissent ce que les Grecs appellent la kalogatatie (modèle de l’homme honorable).
  • Juridique : seuls les actes volontaires peuvent être jugés et condamnés, faire l’objet de « blâmes et récompenses ».

Le but d’Aristote est d’expliquer à quelles conditions un acte est volontaire et imputable. Il faut montrer qu’un certain nombre d’actes que nous faisons et qui nous semblent non-volontaires nous sont toutefois imputables. Ainsi,

  • Est volontaire (ou fait « de son plein gré ») l’acte (1) qui n’est pas accompli par contrainte extérieure, (2) dont nous sommes le principe (ce qui inclut les actes des animaux et des enfants !), (3) et qui a été fait en connaissance des circonstances particulières.
  • Est strictement involontaire un acte accompli par contrainte et dont nous ne sommes pas le principe : être poussé par le vent. C’est un acte dont on éprouve du repentir et du remords a posteriori. Cela inclut les actes commis par l’ignorance des circonstances particulières : si je crois administrer un remède, mais que ce remède est un mal, cela est involontaire, et je ne suis pas responsable du mauvais effet du remède.
  • Est mixte une action que l’on fait contraint par les circonstances ou par crainte de plus grands maux (exemple du marin qui jette sa cargaison à la mer pour sauver son navire ou de l’assassinat commis parce qu’un tyran tient en otage notre famille), même si elle n’eût pas été faite dans l’absolu. Cette action est volontaire et imputable.

Pour Aristote, un acte commis dans l’ignorance de la nature du bien ou des règles générales est imputable à son agent : nous sommes responsables de notre ignorance et des mauvaises habitudes qui se sont incrustées en nous. Nos vices et nos vertus dépendent de nous et relèvent de la catégorie du volontaire ; les actes commis par « impulsivité ou concupiscence » sont bien volontaires.

Cela renvoie à la définition même de la vertu pour Aristote : c’est faire les actions vertueuses pour elles-mêmes, avoir une bonne intention (VI, 13). C’est cette intention morale qui doit être l’objet de notre jugement.

Les deux types de justice

Dans le Livre V, Aristote souligne que la loi, si elle est bien faite, est l’expression des vertus et contraint les citoyens qui ne seraient pas vertueux par eux-mêmes, à accomplir des actes vertueux et, à force de les accomplir, à devenir vertueux.

Aristote distingue deux types de justice :

  1. La justice distributive qui regarde la façon de répartir entre les membres de la communauté politique les biens et les honneurs : elle revient à donner différentes parts à des hommes qui sont inégaux en richesse, en tenant compte de la « valeur » des personnes. Cette justice est une sorte de proportion géométrique.
  2. La justice corrective qui revient à corriger des infractions selon une proportion arithmétique. Elle ne regarde que le tort causé.

Dans tous les cas, le juge s’efforce, par son jugement et le châtiment, de rétablir une égalité qui a été brisée.

Tout le propos d’Aristote repose sur l’idée de casuistique : chaque cas doit être examiné en particulier, pour voir s’il est volontaire ou involontaire, juste ou injuste, quels sont les châtiments ou les peines les plus adaptées. C’est pourquoi Aristote valorise la notion d’équité comme une forme supérieure de justice : si la loi est générale, l’art du juge consiste, lorsque des cas particuliers ne semblent pas rentrer dans le cadre de la loi ou ne pas être prévus, à se faire l’interprète « de ce qu’eût dit le législateur s’il avait été présent à ce moment » (V, 14). L’équitable est ainsi « un correctif de la loi ».

EN RÉSUMÉ