Un simple porte-parole de la loi ?

Comme le précise Montesquieu, « dans les gouvernements républicains, il est de la nature de la constitution que les juges suivent la lettre de la loi » (De l’esprit des lois, VI, III).

En effet :

  • C’est par la loi que le peuple gouverne, donc si le juger ne s’y pliait pas, il usurperait un pouvoir qui n’est pas le sien.
  • Dans un pouvoir monarchique, la loi n’est pas souveraine, et donc le juge doit pouvoir y suppléer en en recherchant l’esprit. Le souverain confie alors ce type de pouvoir au juge sans renoncer à sa souveraineté.

Dans le contexte d’une république, pour Montesquieu, les jugements ne sont qu’un texte précis de la loi. Les lois, de leur côté, doivent être les plus précises possible pour éviter de laisser libre cours à l’interprétation du juge. Le rôle du juge se limite alors à juger si l’accusé est coupable d’un certain crime ; une fois le crime prouvé, la peine se trouverait automatiquement dans la loi.

Cette thèse est liée à celle de la séparation des pouvoirs : pouvoir législatif et pouvoir judiciaire ne peuvent se confondre, car le juge aurait alors le pouvoir d’édicter la loi et de décider ce qui tombe sous sa sphère. Le but de Montesquieu est d’éviter la confusion entre « jugement » et « opinion particulière » du juge : le jugement doit être l’expression de la volonté générale de l’État.

Juger et argumenter

Pourtant, le caractère incomplet et imprécis des règles qui constituent le droit rend contestable la réduction du juge à un automate qui appliquerait la loi. Il peut exister des lacunes, lorsqu’aucune loi n’est applicable au cas particulier : la jurisprudence est la règle nouvelle que le juge doit alors élaborer. La loi peut être considérée comme trop générale, en tenant compte de la singularité du réel (cf. Aristote et sa conception de l’équité).

Ces différents éléments montrent que le juge doit prendre en compte non seulement le droit, mais le sujet qui doit pouvoir reconnaître et accepter le jugement. L’office du juge est donc plus complexe et implique :

  • L’idée que le jugement doit être juste et donc qu’il ne soit pas jugé à son tour comme injuste ou anormal par ses destinataires, mais aussi par la société.
  • Une procédure argumentative qui n’est pas simplement mathématique, qui ne doit pas simplement montrer la conformité au droit, mais démontrer l’opportunité du jugement.

Dans Logique juridique, nouvelle rhétorique (1967), Chaïm Perelman soutient ainsi que :

  1. La loi n’est pas le fin mot de la décision du juge, mais seulement « le principal outil guidant le juge ».
  2. Le jugement doit être raisonnable et acceptable, ni subjectif, ni arbitraire.
  3. Le jugement est toutefois une décision, qui implique l’intervention de la volonté du juge.
  4. Ce qui rend non-arbitraire cette volonté, c’est l’argumentation qui motive la décision. Cette justification est distincte du processus psychologique qui a pu amener le juge à la décision, car elle doit être acceptable par d’autres juristes et pouvoir s’insérer dans la jurisprudence.

En d’autres termes, le raisonnement qui précède et motive le jugement doit pouvoir être compris et accepté aussi bien par la société que par d’autres juges ; cette intersubjectivité, qui caractérise la production du discours juridique, tend à lutter contre l’arbitraire.

EN RÉSUMÉ