Raisons objectives et subjectives : la proposition hégélienne

Dans ses Principes de philosophie du droit, Hegel synthétise les positions adverses sur la finalité du jugement pénal en indiquant (§ 220) que la peine a :

  • Des raisons subjectives : la punition reconnaît la rationalité du criminel, car si le crime est contraire à la volonté rationnelle et à la volonté générale (qui est aussi la sienne), il est l’œuvre d’un être rationnel (§ 100). La punition permet au criminel de ressentir les conséquences de son acte.
  • Des raisons objectives : le crime est une violation du droit et la punition permet de défendre la loi. Un crime impuni acquerrait une positivité et serait considéré comme rationnel. La punition est donc un fait de la communauté qui rétablit la justice.

L’idée centrale de Hegel est qu’un crime ne peut exister que dans ce qu’il nie : une société régie par des lois. Le crime ne nie pas simple le droit de la personne qui subit le dommage, mais le droit comme droit. Or, c’est bien dans ce monde que veut vivre le criminel. La peine vise donc à réunifier la volonté du criminel avec elle-même et c’est pourquoi Hegel peut déclarer que, par la sanction, « le criminel est honoré dans son acte rationnel » (§ 100). Le criminel prend alors conscience de la rationalité de sa volonté libre.

Il faut toutefois remarquer que l’identité entre le crime et la peine ne peut être totale et ne peut prendre la forme d’une rétribution simple, sans quoi elle devient simple vengeance. La peine doit être institutionnalisée : la sanction ne doit pas être administrée par la « partie violentée », mais par « l’universel violenté », le droit lui-même, incarné par le tribunal, qui fait valoir le droit dans un cas particulier.

Ricœur : produire la reconnaissance

Dans « L’acte de juger », Paul Ricœur revient à l’étymologie même du terme : juger signifie trancher, séparer, tracer une ligne entre le « tien » et le « mien ». Le jugement met donc fin à l’incertitude et au conflit. Mais le jugement ne se borne pas à mettre un terme à un litige particulier ; il vise par là le rétablissement de la paix sociale (et non simplement de la sécurité).

En enlevant à l’individu le droit et le pouvoir de se faire justice lui-même, la justice remplace donc la vengeance, qui est immédiate, directe et personnelle. Mais le jugement vise en réalité quelque chose de plus qu’une simple réparation : une reconnaissance mutuelle. Celle-ci n’est pas à confondre avec une réconciliation, c’est une reconnaissance réciproque entre sujets de droit :

« L’acte de juger a atteint son but lorsque celui qui a, comme on dit, gagné son procès, se sent capable de dire : mon adversaire, celui qui a perdu, demeure comme moi sujet de droit : sa cause méritait d’être entendue ; il avait des arguments plausibles et ceux-ci ont été entendus. Mais la reconnaissance ne serait complète que si la chose pouvait être dite par celui qui a perdu, celui à qui on a donné tort, le condamné. »

EN RÉSUMÉ