La finalité de l’acte judiciaire
Prononcer un jugement au terme d’un procès est un acte qui fait pleinement partie de notre vie civique. Mais quelle est sa finalité ? Cette question détermine en partie la forme et la gravité du jugement : ceux-ci ne sont pas les mêmes selon la fonction qu’on donne à la peine prévue par le jugement.
On peut distinguer deux approches :
- Une approche qui soutient que la peine a pour fonction de réparer une injustice et donc de rendre à chacun ce qui est le sien ; le jugement doit donc considérer la justice de la peine attribuée.
- Une approche qui soutient que la peine a pour fonction de maintenir l’ordre social et de rétablir l’autorité publique ; le jugement doit donc considérer l’utilité de la peine attribuée.
La vision jusnaturaliste et rationaliste
Dans cette vision, la peine a un rôle essentiellement rétributif. Ainsi, d’après Thomas d’Aquin un crime consiste dans un défaut de la volonté, qui ne suit pas la loi naturelle, laquelle commande de suivre la justice ; le crime ne vise pas le bien commun, mais accorde trop à la volonté particulière.
La peine a pour fonction :
- De soigner, comme un médicament, la peine, en la prévenant (c’est la crainte de la peine qui l’empêche de la commettre).
- De remédier au désordre impliqué par la volonté, qui s’est arrogé un droit supérieur à celui des autres : la peine est donc un redressement, car il rétablit l’ordre de la justice (Compendium theologiae, ch. 21).
Pour qu’une peine fonctionne, elle doit émaner d’une autorité compétente (elle n’est pas un acte privé de vengeance) et affliger à l’individu un mal contraire à sa volonté (par exemple la priver d’un bien qu’elle juge supérieur au bien qu’elle entend tirer de l’acte condamnable).
La peine a ici à la fois une fonction rétributive (celle de restituer la justice dérangée), et aussi utilitaire (celle d’empêcher d’autres crimes de ce type). La fin de la justice pénale est à la fois de payer le criminel de son acte et de garantir l’ordre social face au désordre.
Une position plus forte est soutenue par Kant, pour qui la peine ne doit être imposée pour aucune autre raison, si ce n’est que parce que le criminel a commis un crime : la peine n’est pas répression, mais rétribution de la faute (Métaphysique des mœurs. Doctrine de la vertu, § 49), car elle sanctionne le fait que le criminel n’a pas respecté l’impératif moral. La peine n’a alors d’autre fonction que de rendre effectifs les principes de la justice.
La vision utilitariste
La vision utilitariste reprend l’idée d’une utilité de la peine, mais abandonne l’idée que la peine a pour fonction de réparer une « dette passée ». Dans cette conception, la peine est surtout tournée vers le futur : la peine n’a pour visée que de conserver la société, et le juste et l’injuste ne désignent, comme chez Beccaria, que « ce qui est utile ou nuisible à la société » (Des délits et des peines, 1764).
En écartant leur dimension religieuse et morale, Beccaria définit les peines comme « des moyens employés contre ceux qui enfreignent les lois, des moyens qui frappent immédiatement les sens et qui se présentent constamment à l’esprit pour contrebalancer les fortes impressions individuelles s’opposant à l’intérêt général » (§ 2) ; tout châtiment doit dissuader, par l’exemple sensible, l’infraction et préserver le lien social.
Les conditions d’un châtiment légitime et d’un jugement réussi sont donc :
- La « publicité », essentielle pour que le châtiment provoque son effet sur les autres citoyens (la torture secrète est donc illégitime).
- La « promptitude » et la « nécessité », qui luttent contre le sentiment d’impunité (une peine infaillible est plus efficace qu’une peine forte, mais incertaine).
- La proportionnalité de la peine au délit, selon un calcul rationnel. La peine de mort apparaît comme illégitime : les individus n’ont pu renoncer au droit de préserver leur vie.
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