Sujet : « Construire la nation au Moyen-Orient (1920-2011) »
Plan détaillé
(Parties/sous-parties/grandes idées des paragraphes)
I/Des constructions nationales entravées par les impérialismes occidentaux (1920-1948)
A/L’effondrement de l’Empire ottoman ou la libération de revendications nationales cependant vite frustrées
– Une idée nationale occidentalisée déjà présente sous l’Empire ottoman avant-guerre : idée de « Nahda »/renaissance et unité arabe chez Azoury (1905), idée d’État-nation dans le mouvement Jeunes Turcs (1908), voire influence lointaine de la révolution constitutionnaliste en Iran (1906).
– Une idée nationale exaltée pendant la guerre, mais à des fins tactiques par les Britanniques : Révolution arabe de 1916-1918 avec rêve d’une unité arabe derrière les souverains hachémites ; promesses faites au mouvement sioniste quant au « foyer national juif » avec la déclaration Balfour (1917) ; promesses faites aux Arméniens persécutés d’une République indépendante, promesses identiques faites aux Kurdes.
– Une réalité très différente : partage du Moyen-Orient entre Français et Britanniques par les accords Sykes-Picot (1916), confirmé par le système des mandats de la SDN en 1920. Le traité de Sèvres se fait au détriment des intérêts turcs (territoire, frontière, souveraineté) et au profit des intérêts occidentaux portés sur les ressources pétrolières (Irak notamment). Arménie et Kurdistan restent des projets vagues, et finalement oubliés après le traité de Lausanne de 1923.
B/Comment penser et faire exister la nation dans l’entre-deux-guerres ?
– Partout la souveraineté nationale est entravée par les puissances impérialistes. Irak : tracé des frontières et exploitation du sous-sol sont convenus selon les intérêts du protecteur britannique. Malgré tout, Fayçal Ier entretient à sa cour des penseurs panarabes. Égypte : dispositif similaire, même si les Britanniques doivent composer avec le mouvement nationaliste du Wafd dès les manifestations de 1919. Syrie : les projets français de « grand Liban » suscitent de la colère, mais la rébellion druze de 1925 est sévèrement réprimée.
– Certains penseurs, mouvements ou États tentent de penser la nation arabe au-delà des frontières existantes, mais dans une grande diversité de tendances : panarabisme modernisateur de la revue égyptienne El Manar ; volonté de l’Arabie saoudite (constituée en 1926 après la conquête du Hedjaz) de s’ériger en protecteur de la communauté des croyants (oumma) sunnite ; vision radicalisée de l’islamisme des Frères musulmans en Égypte.
– Les contre-exemples turc et iranien : la République de Turquie se forge dans la guerre civile contre le sultan et les étrangers (comme les Grecs), sous l’autorité de Mustapha Kemal dit « Attatürk », père des Turcs. Elle efface les affronts de la défaite par le traité de Lausanne (1923). Le kémalisme reprend une partie de l’héritage « Jeunes Turcs » : État moderne et laïc, effort d’instruction… Mêmes principes dans l’Iran du Chah Mohammed Reza à partir de 1925, mais sous la pression des compagnies pétrolières britanniques.
C/Des constructions nationales qui n’aboutissent que sous protection occidentale (années 1930-1948).
– De nombreux États s’édifient peu à peu en États-nations, avec des codes sur la nationalité, la langue ou l’identité historique dans le temps long ; des symboles (timbres, billets, jours de commémoration) ; des frontières précisées, non sans tensions avec les voisins. Le processus est plus ou moins abouti, de l’Égypte au Yémen dont les structures restent malgré tout très tribalistes. Mais il est rude envers les minorités (Kurdes d’Irak ou de Turquie). Et toujours sous le contrôle des puissances mandataires comme le Royaume-Uni, encore plus intrusives dans un contexte de guerre (intervention britannique rapide contre le gouvernement pro-allemand de Bagdad en juin 1941).
– Les difficultés du panarabisme face au problème de la Palestine : le sort des Arabes de la Palestine mandataire britannique est une préoccupation commune à tous les Arabes. Mais les tensions communautaires entre Juifs sionistes et Arabes vont crescendo jusqu’à la grande révolte arabe de 1936, aux extensions nationalistes en Égypte et en Syrie. Après-guerre, plusieurs États indépendants fondent la Ligue arabe en 1945, aux yeux de laquelle la protection de la communauté palestinienne est importante.
– Un État-nation réussi, mais une construction occidentale imposée de l’extérieur : Israël. De leur côté, les colons juifs sionistes du Yishouv construisent peu à peu le foyer national en Palestine (institutions politiques, colonisation agricole, urbanisation de Jaffa - Tel-Aviv), avec l’aide de l’Agence juive qui organise les migrations et favorise l’émergence d’une économie à base communautaire. Après-guerre, contre le plan de partage de l’ONU de 1947 en deux États, l’État d’Israël est proclamé en mai 1948 et s’impose par les armes auprès des voisins arabes, au prix de l’expulsion de près de 700 000 Palestiniens dont la souffrance et la spoliation seront à la base de l’identité nationale, forgée par l’exil et l’occupation sur la longue durée.
II/Construire et faire nation au temps du panarabisme et de la guerre froide (1948-1979)
A/Le nationalisme arabe et panarabe au temps de Nasser
– Un précurseur : le parti Baas né à Damas en 1946, dans une Syrie nouvellement indépendante et multiconfessionnelle, qui défend une renaissance arabe autour du socialisme et du panarabisme. Son influence se diffuse vite en Égypte et en Irak dans les milieux de l’armée (coup d’État en Irak en 1958 et 1968). Ce sursaut national a un équivalent dans l’Iran perse où le gouvernement Mossadegh veut, en 1952-1953, nationaliser les ressources pétrolières, mais il est renversé par les services secrets britanniques et américains.
– Un leader : Nasser, officier égyptien au pouvoir au Caire en 1952. Il combat les influences islamistes et met en place un État national et laïc, une réforme agraire, un début d’industrialisation et un effort d’instruction. Il défie les puissances européennes en nationalisant avec succès le canal de Suez en 1956. Il fait du Caire le centre culturel et politique du monde arabe. Il se positionne en leader du Tiers monde indépendant, mais se rapproche cependant de l’URSS.
– Des réalisations : Nasser lance la République arabe unie (RAU) en 1958 entre la Syrie et l’Égypte. Cette construction nationale inédite et audacieuse provoque des remous au Liban et en Jordanie, faisant peur respectivement au Président Chamoun et au roi Hussein qui sollicitent un soutien militaire américain. Mais le nationalisme égyptien l’emporte sur le panarabisme et la Syrie finit par claquer la porte de la RAU dès 1961.
B/L’échec final de la construction nationale par la voie du panarabisme
– L’essoufflement du nassérisme dans les conflits d’indépendance sudarabiques : l’armée égyptienne intervient au Yémen du Nord pour soutenir le coup d’État antibritannique de 1962, mais s’épuise dans une éprouvante guerre interclanique. L’Égypte soutient également les nationalistes antibritanniques au Yémen du Sud et à Aden, mais échoue à exercer une influence durable. Dans le même temps, des émirats (Koweït, Émirats arabes unis) prennent leur indépendance et consolident leur État grâce aux importants revenus du pétrole.
– Israël, fossoyeur de l’idéal national panarabe. Nasser échoue face à Israël lors de la guerre des Six Jours de juin 1967 qui humilie le raïs égyptien et rend plus aiguë encore la question palestinienne avec les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie. Ce qui a pour effet de consolider le mouvement national palestinien autour de l’OLP de Yasser Arafat opérant depuis les camps de réfugiés de Jordanie puis du Liban. L’Égypte de Sadate subit une autre déconvenue (certes moins humiliante) face à l’État hébreu avec la guerre du Kippour en octobre 1973. Mais le successeur de Nasser choisit finalement de reconnaître et de faire la paix avec Israël en 1978, au grand dam de la Ligue arabe.
– La lente montée de l’islamisme alternatif dans les années 1960-1970 : l’échec du nationalisme arabe laïc entraîne dans un mouvement de balancier la montée de l’islamisme religieux qui prône la communauté de croyants plutôt que l’État-nation occidental. Les Frères musulmans gagnent en influence en Égypte, tandis que les écrits de Sayyid Qutb condamnent le danger de l’occidentalisation. Un mouvement idéologique proche émerge aussi dans l’Iran du Chah Pahlavi, un État-nation porté par les revenus du pétrole, mais jugé par le clergé chiite trop modernisateur, tyrannique et occidental. En 1979, une révolution islamique change le régime qui parvient cependant à conjuguer sur le temps long loi religieuse et sentiment national iranien.
C/Des constructions nationales fortes, d’autres très fragiles
– Des régimes forts et unitaires : les monarchies saoudiennes et jordaniennes apparaissent comme solides. Mais l’Arabie saoudite, tirant profit des ressources pétrolières, privilégie à l’idée nationale la fibre tribale (allégeance et fidélité au clan des Saoud) et le sentiment religieux (protectrice des lieux saints, doctrine wahhabite, islamisme diffus dans la société). La Jordanie a sauvé l’État au prix d’une terrible purge des camps palestiniens jugés trop séparatistes sur son territoire en septembre (« noir ») 1970. D’autres régimes sont solides, mais antidémocratiques, avec des républiques militaires comme l’Égypte qui contiennent par la force la diversité communautaire : Syrie du clan el-Assad après 1970 ; Irak des officiers baasistes et de Saddam Hussein après 1968 imposant la laïcité aux confessions et opprimant les Kurdes ; Turquie où l’armée fidèle au kémaliste sait mettre en demeure le pouvoir civil comme en 1971.
– Des États fragiles : la diversité confessionnelle peut avoir raison de l’État comme le montre le cas tragique du Liban. Le pacte national de 1943 visait à un partage des institutions entre communautés chrétiennes, sunnites et chiites. Dans les années 1960, la politique réformiste et consensuelle de Fouad Chéhab est parvenue à maintenir un équilibre. Mais ce dernier vole en éclat en 1975, entraînant le pays dans quinze ans de guerre civile, entre Phalanges chrétiennes, milices sunnites, milice chiite islamisée, groupes palestiniens, et avec ingérences étrangères iranienne, syrienne et israélienne.
– Un État-nation à l’occidental : Israël. Le pays est une démocratie libérale avec séparation des pouvoirs et élections démocratiques. Le multipartisme y est institué de la gauche (Mapaï et Mapam) à la droite nationaliste (Herout/Likoud). Les libertés individuelles et l’égalité homme/femme (y compris dans le service militaire) sont garanties. Mais la nation est traversée de clivages ethniques (surveillance particulière des citoyens arabes avant 1966) et le principe national bute souvent sur le principe religieux porté par de très influents partis qui ont leur mot à dire sur les mœurs, l’instruction ou l’extension d’Israël.
III/Une construction nationale sans cesse recommencée (1979-2011) ?
A/Le sentiment national à l’épreuve de la guerre (1979-1991)
– La longue guerre Iran-Irak (1980-1988) affermit les réflexes d’unité nationale dans chaque camp. Le régime baasiste et nationaliste de Saddam Hussein mobilise la population contre l’Iran (dont l’influence sur la minorité chiite irakienne pourrait miner l’unité nationale). En face, le régime iranien se renforce, la population se serrant les coudes devant l’invasion et les bombardements, prouvant que l’islam politique peut concurrencer le nationalisme arabe pour faire « nation ».
– Quand la guerre civile détruit la nation : c’est le cas du Liban qui ne sort de la guerre civile qu’en 1990 après une sanglante guerre de clans devant laquelle la communauté internationale fut impuissante. Il en ressortira un éclatement du Liban comme le montre l’enclave désormais contrôlée par le Hezbollah sur une partie du pays. Sur le même modèle, une organisation politique islamiste se territorialise avec le Hamas dans la bande de Gaza à partir de 1987, minant durablement le mouvement nationaliste palestinien.
– Souveraineté nationale et guerre du Golfe : l’Irak envahit le Koweït à l’été 1990 pour des motivations économiques et irrédentistes (sur l’ancienne province ottomane de Bassorah). Au nom du respect du droit international, une coalition internationale sous commandement américain fait battre en retraite l’armée irakienne (guerre du Golfe). Puis États-Unis et ONU maintiennent la pression sur l’Irak pendant dix ans, entravant son développement par un embargo très dur. Mais ces contraintes soudent la population du dictateur affaibli Saddam Hussein.
B/L’impossible construction de la nation palestinienne depuis 1988
– Le Fatah/OLP appelle à la résistance nationale palestinienne dans les territoires palestiniens occupés, avec une forte médiatisation internationale de cette intifada lancée en 1987. Puis Arafat déclare l’indépendance de la Palestine en 1988 depuis Alger pour interpeller l’opinion mondiale, se placer sur le plan du droit international et forcer les discussions avec Israël, implicitement reconnu. Il s’agit de transformer la lutte armée (stratégie de l’OLP jusqu’alors, soutenue par des États comme la Libye du colonel Kadhafi) en projet politique de construction d’État.
– Un espoir avec les accords d’Oslo (1993) : au terme de longues négociations menées secrètement en Norvège et sous parrainage américain, l’Autorité palestinienne est reconnue comme embryon d’État (reconnaissant Israël en retour). Un transfert de souveraineté en Palestine est prévu au terme d’un processus de paix. Mais les accords achoppent sur le statut de Jérusalem (revendiquée capitale par Israël et le mouvement palestinien) et des réfugiés.
– Quand le nationalisme israélien et l’islamisme du Hamas rendent impossible l’affirmation de l’Etat palestinien. Le Likoud domine la société politique israélienne depuis les années 1990, d’Ariel Sharon à Benyamin Netanyahou, tandis que le Hamas continue d’exiger l’éradication d’Israël, à grand renfort d’attentats suicides. Construction d’une barrière de sécurité (2002) puis opérations militaires régulières à Gaza (« Plomb durci » en 2009) ne font qu’entretenir le cercle vicieux de la violence et le blocage diplomatique.
C/La grande fragilité des constructions nationales, d’origine externe ou interne (années 2000)
– Détruire l’État au nom de la « nation building » : l’échec de la stratégie américaine en Irak en 2003. Au nom de la « guerre contre le terrorisme », de liens très hypothétiques avec al-Qaida et de la présence fantasmée d’armes de destruction massive, les États-Unis envahissent l’Irak en 2003 et renversent le régime de Saddam Hussein. Le but est aussi d’imposer la démocratie au Moyen-Orient, mais le résultat est un gouvernement qui fragmente la nation en communautés (sunnites, chiites, kurdes), une occupation anarchique faisant de l’Irak un failed State et la pénétration du pays par les milices d’al-Qaïda ou d’autres à la solde de l’Iran qui règnent sur plusieurs parties du territoire.
– L’échec des révolutions nationales du « printemps arabe » (2011). La tentative de construire la nation par en bas de façon endogène a hélas également failli. La vague révolutionnaire qui traverse le monde arabe (et le Maghreb) se fait au nom de la dignité nationale, mais débouche sur des scénarios catastrophiques : essor de l’islamisme, retour de régimes autoritaires après une confuse tentative de transition démocratique (Égypte) ou guerre civile (Libye et Syrie où le pouvoir tyrannique du clan el-Assad parviendra cependant à se maintenir encore une bonne dizaine d’années).
– Quand l’islamisme construit des États : le cas de Daesh (perspectives au-delà de 2011). Depuis 1979, l’islamisme combat l’idée de nation au nom de la communauté des croyants et de réseaux transnationaux, comme le montrent les djihadistes saoudiens partis combattre en Afghanistan dans les années 1980 ou la nébuleuse al-Qaïda en divers recoins du monde arabe (ou du monde entier). En 2014 toutefois, Al-Qaïda en Irak se territorialise, à la frontière de la Syrie, et crée un curieux « Califat islamique », organisation politique appelant les djihadistes du monde entier à le rejoindre. Cette entité territoriale se disloque en 2019 sous les coups d’une coalition internationale, à laquelle participent des combattants kurdes toujours en quête de reconnaissance pour leur nation.
Conclusion : Construire la nation au Moyen-Orient au XXe siècle a été un processus long, difficile et toujours en grande partie inachevé. La nation est un idéal revendiqué, mais qui peine à exister par-delà la diversité des ethnies, des confessions et des reliquats de structure tribaliste dans certaines régions. L’État-nation est une construction trop occidentale pour s’imposer durablement (sauf en Israël et en Turquie), le panarabisme a été une utopie enterrée avec Nasser en 1970 (et, dans une moindre mesure, avec le nationalisme baasiste de Saddam Hussein en 2003/2006), l’islamisme a concurrencé et supplanté le principe national (sauf dans le cas particulier de l’Iran), quand il ne s’est pas mêlé au communautarisme pour créer des enclaves politiques autonomes au sein de failed States (Hamas à Gaza, Hezbollah au Liban). La construction des nations s’est aussi trop souvent heurtée aux ingérences malencontreuses des puissances occidentales (impérialisme au temps des mandats de l’entre-deux-guerres, jeux de guerre froide, guerres américaines dans le Golfe après 1990).