Israël s’impose à ses voisins à partir de 1948

La guerre d’indépendance de l’État hébreu

Dans la Palestine minée par les affrontements, les États arabes envoient des armes, de l’argent et des volontaires à une « armée palestinienne », formée sous la direction d’Abd el-Kader al-Husseini (1907-1948), neveu de l’ex-grand mufti. Ben Gourion tente d’accélérer les choses par une « offensive » diplomatique : le 14 mai 1948, jour officiel de fin du mandat britannique, il proclame la naissance de l’État d’Israël.

Les organisations sionistes avaient veillé à prendre attache pendant la guerre avec les diplomates des pays belligérants. Les États-Unis sont les premiers à reconnaître Israël, dès le jour même. Les États-Unis comportent une très importante communauté juive, la première du monde depuis l’anéantissement des communautés européennes avec la Shoah. L’URSS reconnaît aussi Israël trois jours plus tard, appuyant « les aspirations des Juifs d’établir leur propre État ». En vérité, pour compenser les échecs en Iran et en Turquie, pénétrer au Proche-Orient en s’appuyant sur les socialistes sionistes pour en chasser les Britanniques et devancer les Américains est l’objectif véritable. L’URSS et la République tchèque, dans le camp de Moscou, envoient des armes à la jeune Tsahal (armée israélienne). Avant que Staline ne distende ses liens avec Israël.

Pour les Arabes de Palestine (Palestiniens), ce premier conflit israélo-arabe correspond à la Nakba (catastrophe). 700 000 Palestiniens sont chassés par Tsahal et s’entassent pour longtemps dans des camps de réfugiés dans les pays arabes voisins (comme la Jordanie, le Liban ou l’Égypte). En février 1949, l’armistice est signé. On note quelques gains territoriaux pour les États arabes : la Jordanie annexe la Cisjordanie et Jérusalem-Est. L’Égypte occupe la bande de Gaza. Mais Israël est le grand vainqueur et relit la guerre avec le mythe de « David contre Goliath ». Tsahal n’avait que 70 000 combattants seulement : le jeune État a mis en place une conscription exceptionnelle de vingt-deux mois à trois ans pour les deux sexes.

Les débuts du nouvel État

Israël se définit tout de suite comme une démocratie libérale sur le modèle occidental (une République) où le pouvoir est détenu par une assemblée, la Knesset, et par un gouvernement qui se forme à la suite des élections législatives. Ben Gourion est le Premier ministre du jeune État juif, Chaïm Weizmann en est son président.

En 1950, pour se consolider démographiquement, se conformer au but initial du mouvement sioniste et parce qu’il vit dans la psychose de l’encerclement par des millions d’Arabes et de l’invasion par ses voisins, l’État vote la loi du retour. Tout Juif dans le monde entier peut être candidat à l’émigration en Israël (faire son alya en tant qu’olim). L’État grossit à vue d’œil : il compte 1 800 000 Juifs en 1959 (pour 152 000 musulmans, 47 000 chrétiens et 21 000 Druzes). Mais les nouveaux venus se heurtent au caractère précaire des installations : écoles en plein air, logements dans des tentes… Par ailleurs, la majorité des immigrants après 1948 viennent de Turquie, du Yémen et d’Irak (là-bas, la communauté juive, de 130 000 personnes encore en 1950, fond comme neige au soleil) puis du Maghreb à partir de 1952. Ils se heurtent souvent au mépris des juifs ashkénazes d’Europe centrale installés depuis une ou deux générations.

Réactions nationales et révolutionnaires contre les ingérences occidentales

Un exemple frappant : l’Affaire Mossadegh en Iran en 1953

Mohammad Mossadegh (1882-1967), Premier ministre d’Iran en 1952, est un patriote (du parti du Front national) hostile aux compagnies pétrolières américaines et britanniques. Il envisage de les nationaliser, notamment l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC). Pour sauvegarder les intérêts des compagnies pétrolières et pour lutter contre l’influence « communiste », les services de renseignement anglo-saxons (CIA et MI6) déclenchent l’opération Ajax.

Le temps presse, car à l’été 1953, Mossadegh a noué un accord avec le parti communiste iranien (parti Tudeh) qui exprime publiquement le souhait de se tourner vers une « assistance soviétique ». Tandis que le Premier ministre britannique Churchill fait pression sur le Shah pour se débarrasser de Mossadegh, les services anglo-américains apportent leur soutien au général Fazlollah Zahedi (1892-1963) et organisent plusieurs manifestations, conduisant à un coup d’État le 19 août 1953. Désavoué par le Chah, Mossadegh est jugé pour haute trahison et condamné à trois ans de prison. Les intérêts économiques et politiques des États-Unis occidentaux sont sains et saufs. En 1955 est signé le Pacte de Bagdad entre États-Unis, Irak et Iran (Central Treaty Organization) qui est une alliance militaire.

Mais les ingérences américaines ont aussi un effet en Jordanie, contre le gouvernement de gauche de Sulayman Nabulsi (1910-1976) constitué après les élections d’octobre 1956 et qui voulait établir des relations diplomatiques avec l’URSS. Sous pression occidentale, le roi Hussein (1935-1999) est contraint de renvoyer son Premier ministre en avril 1957, puis de résister à une tentative de coup d’État militaire qui l’assiège un temps à Zarqa, enfin d’instaurer la loi martiale et d’abolir les partis politiques pour réimposer son autorité.

Nasser, nouveau leader du monde arabe

Le rejet des élites dirigeantes traverse tout le monde arabe. En Égypte, les Frères musulmans sont devenus une association de masse. Ils adoptent une stratégie d’affrontement avec le pouvoir politique égyptien qui culmine en 1948 lorsqu’ils engagent leurs miliciens dans la guerre de Palestine puis poussent à l’assassinat du Premier ministre Mahmud al-Nukrashi Pacha (1888-1948). Ils ne s’empareront toutefois pas de l’État.

Au contraire du colonel Gamal Abd al-Nasser (1918-1970) en 1952, profitant de l’essor des idées nationalistes arabes : le baasisme s’est étendu rapidement de Syrie à l’Égypte. Issu de la petite bourgeoisie égyptienne, Nasser est membre des « officiers libres » qui renversent la monarchie du roi Farouk, jugée trop soumise aux Britanniques, par un putsch. Nasser a fondé ensuite un régime autoritaire à parti unique : l’union sociale arabe. Il initie une réforme agraire populaire, avec redistribution des terres et dépossession des grands propriétaires. Il fait rapidement du Caire le centre diplomatique et culturel du monde arabe. Laïc et socialiste, il fait interdire le groupe islamiste des « Frères musulmans » en 1954. Il procède à la suppression des tribunaux islamistes et à toute forme d’application de la Charia. Il est pour l’émancipation des femmes (appelant à abandonner le voile) et l’éducation pour tous. Nasser se dit révolutionnaire, mais ses opposants le taxent de dictateur : les wafdistes l’accusent de trahir la révolution libérale de 1919, les communistes la révolution sociale, les Frères musulmans la révolution populaire et religieuse.

Mais, pendant plusieurs années, le nationalisme arabe va se confondre avec le terme de nassérisme. Partisan du non-alignement du Tiers-Monde lors de la conférence de Bandung en Indonésie en 1955, il est cependant outré de la montée du néo-impérialisme occidental au Proche et Moyen-Orient. Il négocie en vain auprès un prêt auprès de la Banque mondiale en 1955 pour financer un projet de barrages sur le Nil, bloqué sur intervention américaine et britannique. Cet affront, plus ses idées socialistes et baasistes l’amènent à tendre progressivement vers l’URSS.

La crise de Suez, symbole du sursaut national arabe (1956)

Nasser revendique alors la nationalisation du canal de Suez puis, devant les protestations occidentales, s’en empare en lançant une opération surprise le 26 juillet 1956. Une opération franco-britannique aéroportée est déclenchée le 29 octobre 1956 sur Port-Saïd. De son côté, Israël, en concertation avec Français et Britanniques, attaque l’Égypte pour sécuriser sa frontière dans le Sinaï et prendre la bande de Gaza : l’État hébreu craint la fin de la présence occidentale dans la zone, et donc la perte de ses soutiens.

Le succès militaire est complet, mais… États-Unis et URSS obligent les troupes franco-britanniques à se retirer. Une résolution de l’ONU condamne cette opération sans mandat. France et Royaume-Uni sont humiliés : le temps des puissances impériales européennes dans la région est clairement révolu. Nasser a les mains libres pour nationaliser le canal et construire de grands barrages sur le Nil comme le barrage d’Assouan, achevé en 1967. Il en retire un grand prestige dans tout le monde arabe. Pour Israël, le territoire conquis sur le moment est immense, mais sous pression des deux superpuissances, Israël doit tout rendre à l’Égypte au printemps 1957.

L’essoufflement du nassérisme dans les années 1960

L’échec de la République arabe unie

Sur les brisées de la crise de Suez, Nasser tente de réaliser concrètement le panarabisme en lançant un projet audacieux : la fusion de l’Égypte et de la Syrie, au sein de la République arabe unie (RAU). L’État est créé en 1958, le projet étant bien accueilli par la Syrie en quête de stabilité : instabilité politique, cinq coups d’État depuis 1949, deux tentatives de coup d’État organisées par la CIA...

La RAU déstabilise profondément la région. Inquiet, le roi Hussein de Jordanie riposte immédiatement en concluant avec l’Irak une Union arabe. La cérémonie d’inauguration, qui se tient à Amman le 14 février 1958, déploie le drapeau de la révolte de 1916-1918. Mais, après le renversement de la monarchie irakienne le 14 juillet 1958 par un coup d’État d’officiers baasistes, Hussein prend peur à nouveau et purge son armée, sollicitant une aide militaire des Britanniques. Au Liban, la proclamation de la RAU mine le pacte national. Élu en 1952, le président de la République, Camille Chamoun (1900-1987) mène une politique pro-occidentale qui, pour de nombreux hommes politiques musulmans proches de la Syrie (donc de la nouvelle RAU), nie le « visage arabe » du Liban. Chamoun est en outre accusé de clientélisme au profit de la communauté maronite. Enfin, pour les Palestiniens de Cisjordanie, la RAU est en revanche plus attractive, faisant naître en eux de grands espoirs.

Mais Nasser impose le modèle égyptien à la tête de la RAU et le parti Baas syrien est vite lassé de l’autoritarisme de Nasser. En 1961, a lieu un coup d’État organisé par des officiers baasistes, dont Hafez el-Assad (1930-2000). La Syrie se retire de la RAU, réduite donc à un seul pays…. L’Égypte continuera à s’appeler RAU seule, jusqu’en 1971.

Bourbiers yéménites et sud-arabiques

Nasser s’investit ensuite dans les conflits du sud de la péninsule arabique en pleine transformation avec le retrait de l’Empire britannique : en 1960, le Koweït devient ainsi indépendant, aussitôt revendiqué par l’Irak baasiste (l’émirat faisait jadis partie de la province ottomane de Bassora), qui n’est cependant pas soutenu par la Ligue arabe.

Plus au sud, entre 1963 et 1967, Nasser soutient les rebelles yéménites au projet des Britanniques de rassembler une partie des États de leur protectorat d’Aden pour créer la Fédération d’Arabie du Sud. Mais les rebelles yéménites sont divisés en de multiples groupes et les combats sont autant contre les Britanniques qu’entre Yéménites de factions opposées. On trouve la Ligue des fils d’Arabie du Sud, créée en 1951, le Parti socialiste populaire créée par les syndicats d’Aden en 1962, et enfin le Front national de libération créée en 1963, le plus proche de l’Égypte, menant une guérilla depuis les zones rurales dont la radicalité inquiète cependant cette dernière, qui crée un alors un nouveau Front de libération du Sud-Yemen.

En 1962, une guerre civile éclate aussi au Yémen du Nord. À la suite d’un coup d’État mené par l’officier Abdallah al-Sallal (1917-1994), formé à Bagdad, le jeune roi Muhamad al-Badr (1926-1996) s’exile. Débutent alors des affrontements entre les royalistes, soutenus par l’Arabie saoudite et le Royaume-Uni, et les rebelles républicains, soutenus par l’Égypte. Mais les combats s’enlisent dans une guérilla de montagne, surnommée le « Vietnam de Nasser ». Les Égyptiens se retirent, épuisés, en 1967, sur fond de demi-succès cependant, car la République survit.

De même qu’au sud, les Britanniques doivent abandonner leur Fédération, qui devient la République démocratique populaire du Yémen (du Sud), tombé entre les mains d’un front de libération d’obédience marxiste. L’abandon de la ville d’Aden est mal vécu par les Britanniques. Alors que leurs ressortissants doivent partir, face aux attentats, l’armée britannique se lance de façon désespérée dans une pacification qui prendra le nom de « dernière bataille de l’Empire », en 1967. Le colonel écossais Colin Mitchell y associera son nom, surnommé « Mitch le fou » (Mad Mitch), comparant le tir sur les Arabes suspects dans les rues d’Aden comme un « tir aux perdrix » et embarrassant ainsi les autorités britanniques.

La rivalité avec l’Arabie saoudite

Le royaume conservateur et religieux demeure le principal État opposé au nassérisme dans la région. Il a les moyens de ses ambitions, grâce à ses revenus pétroliers. Par la création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1960, l’Arabie saoudite s’affirme comme un acteur majeur des relations interarabes. En 1962, elle crée la Ligue islamique mondiale et, en 1969, l’Organisation de la conférence islamique, dont le siège est à Djedda.

Cet essor entraîne des luttes de pouvoir se traduisant par la déposition du roi Abdelaziz (1902-1969, il avait succédé à son père éponyme en 1953) au profit de son frère Fayçal (1906-1975) en 1964. Des jeux de pouvoir que l’on retrouve dans l’émirat d’Abou Dhabi où le cheikh Shakhbut ibn Sultan Al Nahyan (1905-1989) est écarté au profit de son frère Zayed (1918-2004) en 1966, dans un contexte de décolonisation et d’accroissement rapide des revenus pétroliers.

EN RÉSUMÉ