La longue guerre Iran-Irak (1980-1988)
Une guerre de tranchées en plein désert
Après la révolution iranienne, le raïs irakien Saddam Hussein craint dans son pays un soulèvement des chiites, qui comptent en 1980 pour 55 à 60 % de sa population, et attaque préventivement l’Iran en pleine situation postrévolutionnaire, espérant prendre le régime de court et le faire tomber rapidement. Soutenu par les puissances occidentales et par les émirats du Golfe (via un Conseil de coopération du Golfe, qui débloque cinquante milliards de dollars d’aide en huit ans), le régime militariste irakien fait pour beaucoup figure de seul rempart possible face à la Révolution islamique.
L’un des enjeux pour l’Irak est aussi le contrôle de la région pétrolière et frontalière du Chott el Arab (coupée en deux par les accords d’Alger de 1975, signé entre les deux pays avec l’arbitrage de l’Algérie). Mais l’offensive sur Téhéran est un échec et le conflit s’enlise. Après des avancées irakiennes dans le Khouzistan jusqu’en septembre 1981, l’armée iranienne, portée par un véritable sursaut national qui va profiter à la consolidation du régime, parvient à stabiliser le front puis à reconquérir les régions perdues.
L’Iran peut compter de son côté sur le soutien timide de l’URSS (qui préfère cependant se consacrer sur l’Afghanistan). Mais aussi celui plus étonnant des États-Unis qui financent de façon officieuse et sans contrôle parlementaire leur soutien aux guérillas contre-révolutionnaires d’Amérique centrale par des ventes d’armes au régime iranien qu’ils qualifient pourtant officiellement de terroriste (scandale de l’Irangate dévoilé en 1986), justifiées difficilement après coup par le fait que l’Irak avait été proche de l’URSS jadis.
Le conflit est parfois comparé à la Grande Guerre de 1914-1918 par les historiens pour plusieurs raisons : guerre de position dans le désert avec des tranchées et des offensives sanglantes inutiles, guerre de matériel (l’armée irakienne était alors particulièrement bien équipée, du fait de plusieurs accords passés avec des pays occidentaux, dont la France), bombardements de cibles civiles (Bassora bombardé massivement par l’Iran en 1987, Téhéran frappée à plusieurs reprises par l’aviation irakienne ou par missiles en 1988) et surtout utilisation par l’Irak d’armes chimiques (gaz moutarde) pourtant interdites depuis l’entre-deux-guerres. Saddam Hussein utilise d’ailleurs l’arme chimique dans le même temps en mars 1988 pour exterminer plusieurs milliers de Kurdes dans le nord de l’Irak à Halabja, dans une opération supervisée par « Ali le chimiste » – Ali Hassan al-Majid (1941-2010) –, son chef de la Sécurité spéciale.
Escalade puis amère sortie de guerre
La guerre manque d’avoir des conséquences terribles dans le Golfe, avec le début d’une guerre des « pétroliers » (ou tankers) à partir de 1984. L’Irak s’en prend aux pétroliers iraniens (et au terminal de l’île de Kharg) dans le but d’affaiblir les ressources financières du pays et de l’inciter à fermer le détroit d’Ormuz, par lequel transitent 20 % du trafic pétrolier mondial, ce qui susciterait alors une intervention américaine contre l’Iran. L’Iran riposte en s’en prenant aux navires pétroliers du Koweït et de l’Arabie Saoudite, et en violant d’ailleurs les eaux territoriales de plusieurs émirats.
En 1987, une intervention navale américaine a lieu après que l’Iran ait coulé 67 pétroliers occidentaux dans le détroit de la mer Rouge. La marine américaine sécurise les détroits et contre-attaque les forces iraniennes jugées trop menaçantes, sans pour autant entrer en guerre.
En juillet 1988, les deux pays, exsangues, décident d’arrêter les combats et d’accepter la résolution 598 de l’ONU en faveur d’un cessez-le-feu : il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. La guerre aura fait plus d’un million de morts : 600 000 pour l’Iran, 500 000 pour l’Irak et 100 000 civils environ (surtout iraniens). 1,5 million de personnes ont été déplacées, y compris des Kurdes.
La guerre s’est accompagnée d’une gestion très autoritaire des régimes qui se sont affrontés : de grands massacres dans les prisons ont lieu à Téhéran en 1988 et Saddam Hussein renforce à Bagdad son régime dictatorial. La paix ne sera signée avec l’Iran que le 15 août 1990. Le conflit a entraîné une légère islamisation de la dictature irakienne qui a basé une partie de son discours nationaliste sur le souvenir de la bataille de la Qâdisiyya en 636 où l’Empire perse sassanide avait été battu par le Califat Rashidun (sunnite) de Médine. En face, le régime islamique chiite a mobilisé le souvenir du martyr de Hussein à Karbala en 680, massacré par les troupes du Califat de Damas, invitant ainsi au sacrifice les Pasdaran et les miliciens Bassidjis. Les fresques des martyrs et les autels du souvenir se multiplient ensuite dans les deux pays, lesquels sont ruinés, notamment l’Irak.
La guerre du Golfe (1990-1991)
Une intervention internationale dans le cadre du « nouvel ordre mondial »
C’est en partie pour se refaire une santé que l’Irak envahit le Koweït début août 1990 pour s’emparer des champs pétroliers, ravivant d’anciennes revendications territoriales et faisant valoir une dette non honorée de l’émirat. L’ONU réagit promptement dans un contexte marqué par la fin de la guerre froide et la réconciliation entre États-Unis et URSS. Cette dernière ne pose d’ailleurs aucun veto au Conseil de Sécurité, tandis que le Président américain George H. Bush, définissant son pays comme le gendarme du monde, appelle au respect de la souveraineté des États.
Mais il s’agit aussi de sécuriser l’approvisionnement énergétique de l’Occident. D’autant que l’Arabie saoudite, alliée aux États-Unis depuis 1945, est également menacée par l’Irak. Tout comme Israël qui s’émeut du programme nucléaire irakien.
L’ONU, après avoir voté des sanctions économiques en août 1990, vote en novembre la formation d’une grande coalition internationale (34 pays dont la France) sous commandement américain, la première du genre depuis quarante ans, avec près d’un million d’hommes, dont la moitié sont des Américains. En janvier-février 1991 a lieu l’opération Tempête du Désert (Desert Strike). C’est un succès rapide en seulement deux mois de combat : l’Irak est écrasé, sa moitié sud envahie et son armée anéantie. La coalition ne déplore que 300 morts environ, tandis qu’il y a sans doute plusieurs milliers de morts irakiens (entre 5 000 et 100 000, selon les estimations, incluant des morts civiles dans des opérations de bombardements aériens massifs sur Bagdad et d’autres villes irakiennes).
Mais les États-Unis respectent la résolution de l’ONU : il n’y aura pas de poussée vers Bagdad et de renversement de Saddam Hussein. Certains conseillers de la Maison-Blanche (les « faucons ») sont frustrés et rangent au tiroir les plans d’invasion de l’Irak et de changement de régime…
Enjeux et conséquences de la guerre
La Guerre du Golfe apparaît comme un spectacle médiatique à l’échelle planétaire, notamment grâce à la couverture en temps réel par la chaîne américaine CNN. Mais les bombardements sont filmés de nuit et de très loin, donnant une vision aseptisée d’une guerre sans morts, passant aussi par l’utilisation d’un vocabulaire neutre et aseptisé : « dommages collatéraux », « frappes chirurgicales »… Mais du côté des médias arabes, l’information occidentale est interprétée différemment, comme une forme d’impérialisme (Dominique Wolton, War game : l’information et la guerre, 1991).
Un embargo sur le pétrole irakien, décidé par l’ONU avant le conflit, se prolonge ensuite, tout comme la surveillance de l’arsenal de l’État irakien. L’Irak doit renoncer à son programme nucléaire et à ses sites de recherche en armes bactériologiques. L’embargo est assoupli en 1996 par la résolution « Pétrole contre nourriture », mais demeure meurtrier : malnutrition, pénurie de médicaments, marché noir, effondrement des services publics, dont les systèmes d’enseignement et de santé. La mortalité infantile décolle, des décennies de développement sont effacées en quelques années. Deux millions de personnes quittent le pays.
Le Kurdistan irakien est séparé du reste de l’Irak, par une opération internationale de secours en mars 1991 et par des résolutions de l’ONU : son autonomie s’accroît, autour de sa capitale Erbil. Mais Saddam Hussein maintient son autorité et réislamise davantage son régime. En décembre 1998, le Président américain Bill Clinton décide, après des tensions avec le dirigeant irakien qui refusait le passage de nouveaux inspecteurs de l’ONU, de bombarder à nouveau l’Irak, par l’opération Desert Fox.
L’Irak, curieuse victime collatérale de la « guerre contre le terrorisme » en 2003
Les attentats du 11 septembre 2001 et la réaction américaine en Afghanistan
En marge de ces événements, depuis l’Afghanistan, le réseau terroriste al-Qaïda prend de l’ampleur. Le pays a continué de sombrer dans la guerre après le départ des Soviétiques en 1989. Le gouvernement communiste de Mohammad Najibullah (1947-1996) finit par être renversé en 1992 par les milices islamistes de Gulbuddin Hekmatyar (1947-) qui prend Kaboul. Hekmatyar finit par s’allier la même année à un groupe d’islamistes extrémistes, les talibans, qui transforment le pays en théocratie, derrière la direction spirituelle du mollah Mohammad Omar (1950-2013).
Protégé par le régime, Ben Laden organise son combat terroriste contre les États-Unis et les nouveaux « croisés » du Moyen-Orient. Il tente un premier attentat à la bombe raté contre le World Trade Center à New York en 1993, puis fait exploser des bombes contre des ambassades américaines en Afrique de l’Est (Tanzanie, Kenya) en 1998, avant de réussir son coup de maître à New York et à Washington DC le 11 septembre 2001 en faisant détourner des avions de ligne par des kamikazes qui les jettent ensuite sur le WTC et le Pentagone, faisant près de 3 000 morts et terrifiant l’ensemble des pays occidentaux.
En réaction, dès octobre 2001, commence la guerre d’Afghanistan, dans le cadre de l’OTAN et sur résolution de l’ONU. Au bout de quelques semaines, les talibans sont renversés au profit d’un gouvernement provisoire. Mais Ben Laden et le mollah Omar parviennent à s’échapper. L’occupation des forces de l’OTAN s’enlise ensuite : les talibans conservent d’importantes bases arrière. La guerre civile se poursuit, les bavures du maintien de l’ordre par les Occidentaux suscitent une hostilité de la population, le gouvernement installé est corrompu, des seigneurs de la terre contrôlent de nombreuses régions et organisent un trafic mondial d’opium…
Dès 2014, les États-Unis commencent à se retirer, puis leurs alliés. À l’été 2021, il n’y a plus de forces de l’OTAN en Afghanistan et les talibans s’emparent à nouveau du pouvoir. Quant à Oussama Ben Laden, il sera traqué des années jusqu’à son exécution dans sa tanière par un commando américain au Pakistan (à Abbottabad) le 2 mai 2011. Son successeur à la tête d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, sera abattu à Kaboul par un drone américain en juillet 2022.
L’improbable invasion anglo-américaine de l’Irak et ses conséquences
Dans l’intervalle, dès janvier 2002, le Président américain George W. Bush et ses proches collaborateurs (Ronald Rumsfeld, Dick Cheney, Paul Wolfowitz) semblent s’orienter vers d’autres cibles dont les liens supposés avec Al-Qaïda sont discutables. W. Bush s’éloigne de la communauté internationale. La guerre contre le terrorisme sert alors à légitimer tous types de « guerres préventives » dans le monde. Et l’Irak en fait les frais.
L’épisode est déplorable : les représentants américains (comme le chef d’état-major Collin Powell) exhibent des « preuves » devant l’ONU dont on sait aujourd’hui qu’elles ont été fabriquées de toutes pièces pour justifier une intervention. La France s’oppose devant le Conseil de Sécurité en février 2003 et, l’ONU ne délivrant aucun mandat, c’est finalement unilatéralement que les États-Unis envahissent l’Irak le 20 mars 2003, avec le Royaume-Uni (gouvernement travailliste de Tony Blair) et l’Espagne qui seront d’ailleurs châtiés de leur « croisade » au Moyen-Orient par des attentats commis par al-Qaïda en 2004-2005.
Le régime de Saddam Hussein est renversé en deux semaines. Mais on ne trouvera jamais les fameuses « armes de destruction massive » qui justifiaient l’intervention. Un autre but de l’opération était d’installer un régime démocratique pour « inspirer » tout le Moyen-Orient : le plan pêche par idéalisme naïf ; l’essayiste Pierre Hassner parle de « Wilsonisme botté ». L’occupation est un échec, avec de nombreux attentats contre des Occidentaux perçus comme des envahisseurs. Saddam Hussein, traqué, sera retrouvé et exécuté par un tribunal du régime de transition en 2006.
Dans ce chaos, des groupes terroristes s’installent (dont une branche régionale d’Al-Qaïda), comme le montre le siège de Falloujah par l’armée américaine à l’été 2004 : ce sont donc les Américains qui ont ouvert les portes de l’Irak aux terroristes et aux lieutenants de Ben Laden… La guerre dégrade considérablement l’image des États-Unis dans le monde, notamment par les pratiques de l’armée américaine (torture dans la prison centrale d’Abu Grahib à Bagdad en 2004) ou des compagnies privées de mercenaires, comme Black Water.
Quant au nouveau gouvernement irakien de transition, en 2005, dirigé par le chiite Nouri al-Maliki (1950-), il fait le choix du communautarisme confessionnel. Les Américains, qui ont déboursé 1,7 milliard de dollars pour cette guerre asymétrique et l’occupation, quittent le pays fin 2011, avec un lourd bilan pour l’Irak : 120 000 Irakiens tués (contre 4 500 Américains), 1,3 million de personnes déplacées, 1,4 million d’Irakiens ayant quitté le pays, presque 30 % de la population au chômage dans un pays dévasté.
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