La guerre des Six Jours en juin 1967 et ses multiples conséquences

Pour Israël, une guerre préventive et des gains territoriaux immenses

Après ses déconvenues, l’Égypte de Nasser cherche à trouver un second souffle en fédérant ses alliés arabes contre leur ennemi commun : Israël. Un traité défensif la lie avec la Syrie en 1966, les deux États soutenant les Palestiniens. En mai 1967, Nasser demande à l’ONU d’évacuer les Casques bleus présents depuis 1956 et ferme le golfe d’Aqaba à la navigation, puis signe un pacte avec la Jordanie début juin.

Pour Israël soudain saisi par la peur de l’anéantissement, il faut agir vite. Le 5 juin, l’État hébreu attaque préventivement ses voisins. Le succès est total : l’aviation égyptienne est totalement détruite au sol avant d’avoir pu décoller. Dans le désert du Sinaï, des rangées entières de T34 (chars soviétiques vendus à l’Égypte) calcinés témoignent de l’ampleur de l’humiliation infligée aux États arabes. En quelques jours, l’offensive éclair israélienne annexe le Sinaï, la Cisjordanie, la bande de Gaza, le plateau du Golan à la frontière libanaise et Jérusalem Est. Les pertes arabes (20 000 morts égyptiens, 6 000 morts jordaniens) sont nettement supérieures à celles israéliennes (800).

La question des territoires occupés

Extrêmement courte, cette guerre a pourtant des conséquences géopolitiques majeures pour la région : Israël conserve plusieurs des territoires occupés à l’issue de l’offensive. L’État hébreu fait jouer ensuite l’ambiguïté de la résolution 242 de l’ONU, votée en 1967. Car l’ONU a aussitôt condamné ces annexions et a pris une résolution demandant à Israël de rétrocéder ces territoires occupés, mais qui illustre toute l’ambiguïté de la langue anglaise : "withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict". "From territories" : de tous les territoires ou de certains territoires ?

Israël enclenche une colonisation juive des territoires arabes occupés. La position française tranche dans le concert des nations occidentales : le général de Gaulle condamne fermement la position israélienne, imposant un embargo sur les ventes d’armes à destination d’Israël qui se tourne alors davantage vers les États-Unis.

De son côté, le territoire arabe a littéralement fondu. L’URSS contribue au rétablissement du potentiel militaire de l’Égypte et de la Syrie et envoie des conseillers soviétiques. Nuritdin Mukhitdinov, ancien Secrétaire général du parti communiste de la République soviétique d’Ouzbékistan, est nommé ambassadeur à Damas de 1968 à 1977. L’aide au développement contribue aussi à créer un grand nombre de complexes industriels à la soviétique à Bassorah et Mossoul en Irak, dirigé par une junte militaire depuis 1958 puis par des officiers baasistes, dont Saddam Hussein, depuis 1968.

L’Égypte, la Jordanie et le Liban acceptent la résolution 242, ce qui revient à reconnaître indirectement l’existence de l’État d’Israël, mais ils l’interprètent très différemment. La médiation de l’ONU échoue au final. Une situation instable de « ni guerre ni paix » s’instaure, à l’image de la guerre d’usure de l’Égypte en 1969-1970 contre les troupes israéliennes stationnées sur la rive droite du canal de Suez.

Une cause palestinienne ravivée qui embarrasse cependant certains États arabes

Autre conséquence politique : une revendication nouvelle qui sera celle d’un État autonome pour la Palestine. Jusqu’alors, nombre d’Arabes palestiniens soutenaient plutôt un idéal panarabe. Mais celui-ci est ruiné en 1967, avec la défaite de Nasser. Dès 1959, Yasser Arafat (1929-2004) a fondé le Fatah, front de libération de la Palestine dont le siège a été déplacé à plusieurs reprises : Koweït, Égypte, Syrie...

En 1964 a été créée l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dont le siège est à Jérusalem-Est, sous la direction d’Ahmad al-Shuqayri (1908-1980). Se dotant d’un Parlement en exil, l’OLP adopte une charte qui définit l’identité palestinienne (notamment par la résidence sur le territoire spolié lors de la Nakba) et exige la libération de la Palestine. En 1968, le Fatah prend le contrôle de l’OLP. Arafat décide de passer à la stratégie de la lutte armée autonome (des feddayin/combattants). L’OLP défend une ligne nationaliste, mais laïque, sous l’influence du mouvement baasiste. La charte révisée de l’OLP de 1968 appelle à chasser les sionistes de Palestine, donc à détruire l’État d’Israël, sans pour autant s’en prendre aux communautés juives préexistantes au sionisme.

La principale base arrière de l’OLP est alors la Jordanie. Or l’organisation se comporte là-bas comme un « État dans l’État » dérangeant le roi Hussein, attaché à l’aide américaine. Les manifestations-monstres à Amman en 1970 sont interprétées comme des tentatives de déstabilisation de la monarchie. En septembre 1970, le roi Hussein décide donc de détruire les camps du Fatah pour rétablir l’ordre. On compte entre 3 000 et 10 000 Palestiniens tués dans les combats avec l’armée. Le cœur de l’OLP se replie au Liban.

Un groupe de feddayin dissidents prend alors le nom de Septembre noir, s’illustrant deux ans plus tard à Munich, lors d’une sanglante prise d’otages d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques. Cet épisode de 1972 montre au passage les liens noués avec le terrorisme d’extrême gauche international, puisque les preneurs d’otages réclament la libération des terroristes allemands arrêtés de la Fraction Armée rouge, dont certains s’étaient entraînés dans les camps de réfugiés de Jordanie, du Liban ou de la Libye du colonel Mouammar Kadhafi. Cette nébuleuse terroriste pratique le détournement d’avions (israéliens) ou l’attentat à la bombe comme à l’aéroport de Lod Tel-Aviv en 1972, réalisé avec le concours des terroristes de l’Armée rouge japonaise, faisant une trentaine de morts et une centaine de blessés.

Les enfants maudits du nassérisme au tournant des années 1960-1970

Quand l’idéal panarabe se heurte aux logiques tribales (en Syrie et en Irak)

Nasser, ébranlé par sa défaite, meurt soudainement en 1970. Mais son idéal panarabe est repris, à moindre échelle par une série de dirigeants néo-bassistes, eux aussi issus de l’armée. En Syrie, le Président Nourredine al-Atasi (1929-1992) et son Premier ministre Salah Jedid (1926-1993), déjà baasistes, sont chassés en 1970 du pouvoir par le ministre de la Défense Hafez el-Assad (1930-2000) dans le cadre d’un « mouvement de rectification ».

Le clan Assad est issu d’une minorité alaouite, mais a passé des alliances avec les groupes sunnites et s’appuie sur le parti unique Baas, avant de placer ses semblables à la tête de l’armée. En 1963, les druzes, ismaéliens et alaouites formaient 15 % des officiers supérieurs, ils sont 60 % en 1975. Le panarabisme se heurte ici aux logiques claniques et ethnoreligieuses.

Il en va de même en Irak : le clan des Takritis, issu de la ville de Tikrit, s’empare du pouvoir en 1968 derrière l’officier Saddam Hussein. Là-bas, le parti unique de masse, la voie « authentiquement totalitaire » (Jean-Pierre Filiu) empruntée par l’État, le secteur public hypertrophié (avec nationalisation du secteur pétrolier, notamment l’Iraq Petroleum Company en 1972), l’armée puissante caractérisent un nouveau régime particulièrement brutal, mais reprenant certains thèmes du baasisme, comme le socialisme et la laïcité.

Saddam Hussein réprime de fait les sunnites radicaux et surtout les chiites, considérés comme à la solde de l’Iran, et réhabilite le passé historique mésopotamien du pays. Il se heurte aussi aux revendications kurdes. Pourtant la Constitution de 1958 reconnaissait leur intégration dans la nation et des droits. Le leader kurde Mustafa Barzani (1903-1979), en exil en URSS depuis 1946, était rentré en Irak et le Parti démocratique du Kurdistan est redevenu légal en 1960.

Mais dès 1961, sur fond d’incompréhensions réciproques, le Kurdistan se lance dans une guérilla contre le pouvoir, soutenu par les États-Unis (le régime irakien étant jugé proche de l’URSS) et même Israël après 1967. L’Iran apporte aussi son aide aux combattants kurdes peshmergas. Qui eux-mêmes s’entraînent dans les camps palestiniens de Jordanie et du Liban. En mars 1970, un accord est signé avec Saddam Hussein prévoyant une zone autonome kurde, mais le conflit demeure latent et le pouvoir cherche à sécuriser la région pétrolière de Kirkouk.

La Libye du fantasque colonel Kadhafi à partir de 1969

Aux marges occidentales de la région, la Libye, retirée à l’Italie vaincue en 1945, a été provisoirement administrée par l’ONU qui envisageait un temps de la placer sous mandat du Royaume-Uni. Elle est finalement devenue indépendante, confiée à l’émir des Senoussis, proclamé roi Idris Ier (1889-1983) de Libye en 1951. Mouammar Kadhafi (1942-2011), issu d’une famille de Bédouins, ayant fait carrière dans l’armée, s’empare du pouvoir avec d’autres officiers en 1969, chassant le roi jugé trop pro-occidental.

Se considérant comme un fils spirituel de Nasser, il mène d’abord une politique d’inspiration baasiste, mélange de nationalisme arabe et de socialisme. Mais en réalité son accès au pouvoir relève aussi d’une logique de clan : sa famille des Ghadhdafa, issue de la confédération tribale des Warfalla, récupère les postes en haut lieu. Kadhafi nationalise l’industrie du pétrole qui sera jusqu’à sa fin sa principale source de richesses. Il reprend un temps, en 1971, un projet de « République arabe unie » : l’« Union des Républiques arabes » devant unir Égypte, Syrie et Libye, mais le projet tourne court. Son régime repose sur un parti unique : l’Union socialiste arabe.

Kadhafi dénonce l’impérialisme occidental et américain et se pose en violent opposant à Israël. Il devient le banquier du terrorisme international, pro-palestinien et d’extrême gauche, ouvrant des camps d’entraînement dans le désert libyen, ce qui lui vaut d’être black-listé par les pays occidentaux. Il soutient la Fraction Armée rouge, les brigades rouges, mais aussi l’IRA (terrorisme irlandais) et l’ETA (terrorisme basque)...

Il s’immisce dans la guerre du Sahara occidental en 1975, en soutenant le Front Polisario, république autonome sahraoui qui a fait sécession de l’État marocain sur un territoire rétrocédé par l’Espagne en transition post-franquiste (le Rio del Oro). La même année, il renvoie dos à dos le capitalisme et le communisme et prétend défendre une troisième voie, en s’appuyant sur la force de l’islam (mais Kadhafi n’est pas islamiste) et la démocratie directe à l’échelle des tribus, dans Le Livre vert. En 1978, appliquant ces principes, il rebaptise la Libye la « Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste ». Avec le temps, il dérive en dictateur fantasque, adepte du maquillage et des tenues extravagantes, accompagné d’une garde prétorienne d’amazones...

La guerre du Kippour (1973) et ses conséquences géopolitiques

Une guerre éclair qui déstabilise cependant Israël (et l’Occident)

La Syrie et l’Égypte, où Anouar el-Sadate (1918-1981) a succédé à Nasser, attaquent Israël par surprise lors de la fête juive du Yom Kippour le 6 octobre 1973. Leurs armées effectuent une brillante percée dans le territoire israélien jusqu’à la riposte de Tsahal et l’appel à la mobilisation générale lancé par le ministre de la Défense Moshe Dayan (1915-1981), qui a déjà connu à ce poste durant la guerre des Six Jours, et Golda Meir (1898-1978), surnommée la « grand-mère d’Israël », Première ministre.

La guerre s’inscrit tout de suite dans le cadre de la guerre froide, malgré la Détente alors en cours, avec soutien américain à Israël et soutien soviétique à la Syrie et à l’Iran. Mais deux semaines après, l’ONU impose un cessez-le-feu. Il n’y aura pas de grande conséquence territoriale. L’Égypte redore un peu son prestige, car Israël a été décontenancé par l’assaut. La principale conséquence sera pétrolière : l’OPEP, sur la décision de ses membres arabes, quadruple le prix du baril pour punir les soutiens occidentaux à Israël, provoquant ainsi le premier choc pétrolier.

Le revirement égyptien sur Israël (1978)

Quelques années plus tard, Anouar el-Sadate décide soudain de se rapprocher d’Israël, pour diverses raisons. D’abord, la volonté de récupérer des territoires perdus en 1967 (Sinaï) par la négociation, d’avancer pareillement sur la question palestinienne, de répondre à une ouverture de paix proposée par le Premier ministre israélien Mehamed Begin (1912-1993), mais surtout volonté de bénéficier de soutien et d’aides au développement des États-Unis, allié indéfectible d’Israël.

En novembre 1977 a lieu la visite historique de Sadate à Jérusalem. Puis en 1978 sont signés, aux États-Unis, les accords de Camp David entre Sadate et Begin, sous l’arbitrage du Président Jimmy Carter, prix Nobel de la Paix la même année. L’Égypte reconnaît diplomatiquement Israël. En 1979, un traité de Paix est signé entre les deux États. La récupération du Sinaï par l’Égypte est effective en 1982. Mais l’Égypte est exclue de la Ligue arabe et Sadate sera assassiné le 6 octobre 1981 par des militants islamistes. Sadate a cependant introduit un précédent pour les pays arabes, minant définitivement le panarabisme (dont l’opposition à Israël était un ciment).

Perspectives pour le mouvement palestinien dans les années 1970

La cause palestinienne gagne en visibilité avec le discours de Yasser Arafat à l’ONU le 13 novembre 1974. Le leader palestinien y évoque les souffrances de son peuple, entre camps de réfugiés et occupation militaire israélienne, comparant son combat avec celui du Vietnam ou des peuples noirs d’Afrique du Sud contre l’apartheid. Mais on retiendra surtout la phrase : « Aujourd’hui, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et d’un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main. » Ceci passe pour être une première offre de discussion et de paix avec Israël, alors que l’OLP ne reconnaît toujours officiellement pas la légitimité de cet État.

EN RÉSUMÉ