En quoi le « merveilleux quotidien » d’Aragon renouvelle-t-il la perception de la modernité urbaine ?

Louis Aragon invente avec Le Paysan de Paris (1926) un merveilleux spécifiquement moderne qui transforme l’expérience urbaine en révélation poétique. Cette œuvre majeure du surréalisme développe le concept de « merveilleux quotidien », défini comme la capacité à percevoir l’extraordinaire dans l’ordinaire de la vie parisienne. Ainsi l’originalité d’Aragon réside-t-elle dans son refus de chercher le merveilleux dans l’exotisme ou le passé : c’est au cœur de la modernité commerciale qu’il le découvre.

Le passage de l’Opéra, galerie marchande vouée à la démolition, devient sous sa plume un « sanctuaire d’un culte de l’éphémère ». Aragon y pratique, en effet, ce qu’il nomme la « mythologie moderne » : les devantures de magasins deviennent autels, les mannequins de cire se transforment en idoles contemporaines, les enseignes lumineuses en hiéroglyphes à déchiffrer. Cette transfiguration du banal révèle que le sacré n’a pas disparu de la modernité, mais s’est déplacé vers de nouveaux objets.

Aussi la méthode aragonienne repose-t-elle sur la « distraction méditative », qui désigne un état de conscience particulier qui permet de voir les « sphinx méconnus » de la ville. Les distributeurs d’essence deviennent ainsi des « divinités de l’Égypte » aux « bras multiples », créant une mythologie de l’ère industrielle. Cette approche influence, d’ailleurs, profondément Walter Benjamin qui y trouve l’inspiration de son Livre des passages.

L’innovation majeure d’Aragon consiste à faire du merveilleux non plus une évasion hors du réel, mais une intensification de la perception du réel. Sa célèbre formule « Il n’y a de merveilleux que dans le concret » résume cette esthétique matérialiste qui refuse l’idéalisme traditionnel. Le merveilleux devient ainsi instrument de connaissance et de critique sociale, révélant les dimensions cachées de la modernité capitaliste tout en célébrant sa beauté convulsive.

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