Le Moyen-Orient devant la poussée des forces de l’Axe (1939-1942)
Des combats aux marges de la région et un opportunisme diplomatique
La Seconde Guerre mondiale n’affecte qu’à la marge la région, en ce qui concerne les combats. Après la défaite française de juin 1940, Syrie et Liban passent sous contrôle du régime Vichy, en vertu des dispositions de l’armistice.
En septembre 1940, les Italiens lancent une offensive depuis la Libye sur l’Égypte britannique et le canal de Suez, mais ils sont repoussés par les Britanniques et menacés sur leurs propres positions libyennes. L’Allemagne doit intervenir à la rescousse en formant l’Afrika Korps, confié au maréchal Rommel qui débarque en Tripolitaine en février 1941. Les combats s’éternisent ensuite en plein désert libyen.
De nombreux pays restent neutres, comme l’Iran ou la Turquie, traumatisée pour cette dernière par le souvenir de son engagement aux côtés de l’Allemagne pendant la Grande Guerre. L’Égypte, en vertu du traité de 1936, rompt ses relations diplomatiques avec l’Allemagne et l’Italie, mais reste neutre finalement neutre. Fin février 1945, la Turquie, le Liban, l’Égypte, la Syrie déclarent opportunément la guerre à l’Allemagne, ce qui leur permet de faire partie des membres fondateurs de l’ONU.
Tentations pro-nazies du côté de l’Irak
L’homme fort de l’Irak, au début de la guerre, est le germanophile Rashid Ali al-Gillani (1892-1965), Premier ministre qui avait le soutien de l’armée : à la suite d’un coup d’État militaire le 1er avril 1941, il contraint à la fuite Nouri Saïd et le régent Abdallah (le roi Fayçal II n’étant encore qu’un enfant). Le gouvernement est partisan d’une alliance avec l’Allemagne, pour en finir avec la domination britannique et par hostilité aux Juifs et au sionisme.
Fritz Grobba, ambassadeur d’Allemagne en Irak de 1932 à 1941, avait alimenté l’antisémitisme des nationalistes : le mouvement de jeunesse al-Futuwwa avait même envoyé un délégué au Congrès du parti nazi à Nuremberg en 1938. Les influences pro-allemandes peuvent aussi passer par la figure d’al-Husseini, présent en Irak depuis 1937, qui fait circuler des traductions du Protocole des Sages de Sion ou de Mein Kampf.
Hitler rencontre d’ailleurs personnellement l’ex-grand Mufti de Jérusalem le 28 novembre 1941 à Berlin, même s’il ne veut pas reconnaître l’indépendance des pays arabes demandée par al-Husseini dans l’immédiat. Mais la promesse de l’indépendance interviendra après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord en novembre 1942. Al-Husseini est aussi invité à donner plusieurs conférences antisémites en Allemagne. En avril 1943, à Francfort, il déclare ainsi : « On peut comparer les Juifs à des insectes porteurs d’une maladie. Quand ils sont loin, on pourrait penser qu’il s’agit d’animaux paisibles, mais quand ils nous piquent et nous transmettent la maladie, on est obligé de recourir à des moyens radicaux ». Au printemps 1943, il participe au recrutement d’une division SS en Bosnie-Herzégovine, composée de Bosniaques musulmans.
De son côté le positionnement pro-nazi de l’Irak fait long feu. L’armée britannique attaque rapidement et réinstalle un gouvernement favorable aux alliés au bout de deux mois, faisant revenir Nouri Saïd au pouvoir, mais vexant profondément les nationalistes irakiens. La fuite de Rashid Ali al-Gillani le 1er juin 1941 pour Berlin donne lieu à un grand pogrom dans le quartier juif de Bagdad faisant près de 200 victimes.
La Grande-Bretagne doit mettre la pression sur ses alliés arabes et perses
Début 1942, Rommel effectue une brillante percée à travers les lignes britanniques menace désormais l’Égypte. Les Britanniques doivent alors forcer les Égyptiens à sortir de leur réserve. Le 4 février 1942, l’armée britannique assiège le palais royal au Caire et oblige le roi Farouk Ier (1920-1965) à faire appel à un gouvernement wafdiste instaurant la loi martiale et la censure.
En juillet et en novembre 1942, les soldats britanniques, dirigés par le général Montgomery, contiennent à deux reprises Rommel à El-Alamein, à 100 km d’Alexandrie : l’Afrika Korps essuie un important revers et se replie en Libye. Le canal de Suez est sauvé.
Les Britanniques réimposent aussi leur contrôle en Iran où Reza Chah Pahlavi avait des inclinations pro-allemandes. Il est contraint à l’exil en août 1941, à la suite d’une double invasion britannique et soviétique, en faveur de son fils Mohammad Reza. Les champs pétroliers britanniques sont sécurisés et l’Iran devient une voie de transit pour l’acheminement d’armes aux Soviétiques. C’est à Téhéran qu’a lieu en novembre 1943 la première conférence internationale entre Churchill, Roosevelt et Staline.
Indépendances et renaissance arabes au sortir de la guerre (1943-1945)
L’indépendance du Levant français
Une offensive britannique conjointe aux forces françaises libres gaullistes emmenées par le général Catroux libère le Levant à l’été 1941. Catroux a proclamé la fin du mandat dès juin 1941 afin de rallier les populations, conditionnant toutefois l’indépendance effective à la victoire finale.
Des élections libres ont lieu à l’été 1943, consacrant la victoire des nationalistes : Shukri al-Quwwatli (1891-1967) en Syrie, Béchara al-Khoury (1890-1964) au Liban, qui deviennent Présidents de la République de leurs pays respectifs. Riad El Sohl (1894-1951), Président du Conseil libanais, se prononce en octobre 1943 pour un « pacte national » permettant un partage du pouvoir entre les différentes confessions du pays ; il souhaite également un Liban à cheval entre le monde arabe et l’Occident.
Mais, le 11 novembre 1943, le délégué général français Jean Helleu fait arrêter les responsables politiques libanais, déclenchant d’importantes manifestations. Il doit finalement céder sur leur libération et acter de l’indépendance du Liban le 22 novembre, effective en 1946 au départ des troupes françaises. En Syrie, les choses sont plus tendues encore, la relève des troupes françaises en 1945 déclenche des émeutes. Le bombardement de Damas en réaction fin mai 1945 suscite une réprobation internationale. En avril 1946, les Français évacuent également la Syrie.
Naissance de la Ligue arabe en 1945
En mars 1945, sept États (Arabie saoudite, Égypte, Irak, Liban, Syrie, Yémen et Transjordanie qui devient l’année suivante le royaume indépendant de Jordanie) fondent la Ligue des États arabes, dont le siège est situé au Caire. Sa structure s’inspire de celle de l’ONU en parallèle.
Les valeurs fondatrices de l’ONU et le principe du droit des peuples formulé par les Alliés dès la Charte de l’Atlantique de 1941 inspirent de fait nombre de leaders nationalistes dans l’ensemble des mondes dominés. Mais la Ligue est traversée par une tension entre l’idéal unitaire arabe et la réalité d’États attachés à leur souveraineté.
On retrouve toujours l’ambiguïté sur les limites géographiques du panarabisme : en 1947, des représentants du parti de l’Istiqlal marocain, du Parti populaire algérien et du Néo-Destour tunisien forment au Caire un Bureau du Maghreb arabe afin de coordonner leurs actions contre l’ordre colonial français. En 1948, Abd el-Krim, ancien héros de la guerre Rif, présent au Caire, publie un manifeste pour la fondation d’un Comité de libération d’Afrique du Nord. Mais les divergences de vues entre branches nationales feront échouer la mise en place d’un véritable combat transnational.
Enfin, dès l’automne 1944, les pays fondateurs de la Ligue arabe estimaient dans une déclaration commune que « la Palestine représente une part importante du monde arabe et qu’il ne peut pas être porté aux droits des Arabes de Palestine sans préjudice à la paix et à la stabilité du monde arabe ».
Les débuts de la guerre froide au Moyen-Orient
La région est centrale dans la stratégie du containment du communisme soviétique énoncée dès 1947 par le Président Truman. Mais États-Unis et URSS ont déjà avancé leurs pions en amont.
Les États-Unis resserrent aussi leurs liens avec l’Arabie saoudite dès le 11 février 1945, par la signature du « Pacte du Quincy » (à bord du navire éponyme), entre Roosevelt et le roi Abdelaziz Saoud. La rencontre confirme l’accès privilégié au pétrole.
En face, l’URSS se rapproche de la Syrie. À Damas, est né en 1947 un parti politique à la fois nationaliste et socialiste, le parti Baas, fondé par le chrétien Michel Aflak (1912-1989), le musulman sunnite Salah Eddine Bitar (1912-1980) et l’alaouite Zaki al-Arzouzi (1900-1968). Nommé le « Parti socialiste de la résurrection arabe », il défend comme idées le nationalisme panarabe, le modernisme, la laïcité (voire l’athéisme) et le socialisme, soit des thèmes communs avec l’URSS qui se présente comme une puissance anti-impérialiste. L’Égypte se déclare quant à elle non alignée, mais le roi Farouk est toujours lié aux Britanniques.
L’Iran est un autre territoire disputé entre les puissances. Dans la région du lac d’Urmia, des Kurdes proclament une République indépendante du Mahabad, en janvier 1946, recevant le soutien de l’URSS (qui occupe toujours le nord du pays). De même, le Parti démocrate d’Azerbaïdjan (une des républiques d’URSS) soutient le séparatisme de la minorité azéri. Une résolution de l’ONU pousse URSS et Iran à négocier, mais c’est l’armée iranienne qui mettra fin à la République autonome. L’URSS retire ses troupes en échange d’un accord pétrolier qui ne fera finalement pas appliqué, car le Parlement ne le ratifie pas.
En Turquie, la menace rouge guette également, le parti communiste turc (TKP), clandestin depuis 1925, en lien avec Moscou, envisage des actions insurrectionnelles en 1946, puis se ravise devant la répression policière (rafles anticommunistes dites tevkifati) et l’absence de soutien rural. La Turquie est membre de l’OTAN dès 1949. De fait, les Occidentaux ont peur de l’influence communiste en Méditerranée orientale (la Grèce voisine connaît la guerre civile de 1946 à 1949).
Un nouvel embrasement en Palestine (1946-1947)
Réticences persistantes des Britanniques à l’immigration juive
Les Britanniques cherchent toujours à la restreindre l’entrée de Juifs en Palestine, conformément à leurs dernières décisions prises juste avant la guerre. Comme le montre en 1947 l’épisode de l’Exodus, un paquebot avec 4500 rescapés des camps nazis d’Europe : les Britanniques l’empêchent de débarquer. La dureté des Britanniques choque les opinions publiques.
Par ailleurs, les nouveaux arrivants en Palestine sont mal accueillis par les Juifs sionistes : ces derniers leur reprochent leur passivité pendant l’extermination. Ce n’est que progressivement que la Shoah va devenir centrale dans la culture politique d’Israël, avec la création du Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem Ouest en 1953 et surtout le procès de l’ancien SS Adolf Eichmann, capturé en Argentine par les services secrets israéliens, puis jugé et exécuté à Jérusalem en 1961.
En février 1947, le Premier ministre britannique Ernest Bevin annonce son intention de soumettre le problème palestinien à l’ONU et de mettre fin au mandat à la date du 14 mai 1948.
Le plan de partage de la Palestine de 1947
L’ONU propose par sa résolution 181 de novembre 1947 un plan de partage de la Palestine, créant deux États : un juif (14 000 km2 avec 498 000 Juifs et 407 000 Arabes), un arabe (11 000 km2 avec 725 000 Arabes et 10 000 Juifs) ; et le statut de ville libre internationale pour Jérusalem (qui compte 100 000 Juifs et le même nombre d’Arabes).
Le plan est accepté à une large majorité à l’ONU. Seuls les pays musulmans (qui considèrent que la création d’un État juif relève d’une logique coloniale), plus Cuba, la Grèce et l’Inde, ont voté contre.
Le mouvement sioniste approuve (à la conférence de Biltmore, à New York en mai 1942, Ben Gourion, Président de l’Agence juive, a réussi à imposer la création de l’État d’Israël comme but de guerre du mouvement sioniste), mais souhaiterait davantage de gains territoriaux.
Le monde sioniste en 1947 est toujours aussi divers : il compte des extrémistes, derrière Zeev Jabotinsky, qui veulent un État juif et une « muraille de fer » les séparant des Arabes, des libéraux derrière Chaïm Weizmann qui veulent la parité avec les Arabes et ne souhaitent pas une rupture nette avec le Royaume-Uni, des socialistes qui veulent la fraternité entre les travailleurs juifs et arabes, et même des intellectuels de « l’Alliance pour la paix », fondée en 1925, qui sont prêts à accepter un statut de minorité dans une Palestine arabe.
Les affrontements intercommunautaires armés
Sur place, l’Irgoun retombe dans la tentation terroriste pour forcer cette fois-ci la main à l’administration britannique sur le départ, comme le montre l’attentat à la bombe du King David Hotel le 22 juillet 1946 (91 morts).
Dès l’annonce du plan de partage, la région sombre dans la guerre : les Arabes sont progressivement chassés de leur terre dans les zones où les Juifs sont majoritaires : « partez ou vous mourrez » entend-on sur les ondes de Free Hebrew Radio. Le 9 avril 1948, l’Irgoun ravage le village de Deir Yassin, faisant près de 250 morts civiles.
Les pays arabes hostiles à Israël prêtent main-forte aux milices palestiniennes et fortifient leur armée, parfois avec expertise allemande. Des criminels nazis ont en effet pu bénéficier de réseaux d’exfiltration mis en place par al-Huseini. Des ex-officiers SS sont accueillis en Syrie comme Alois Brunner. L’armée égyptienne se modernise sous les conseils d’un ancien de l’Afrika Korps, le général Artur Schmitt. Il sera remplacé en 1951 par le général Wilhelm Fahrmbacher, accompagné du commandant SS Gerhard Mertins.
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