En quoi l’émerveillement ethnographique de Jean de Léry fonde-t-il un merveilleux de la découverte ?
Au XVIe siècle, l’écrivain et voyageur Jean de Léry transforme avec son Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil (1578) le récit de voyage en expérience du merveilleux ethnographique. Protestant réformé, il séjourne dans la baie de Rio (1556-1558) et développe une nouvelle approche du genre : le merveilleux ne naît plus de l’invention fabuleuse, mais de l’observation minutieuse de l’altérité. Cette méthode introduit ainsi un merveilleux fondé sur le témoignage oculaire et l’expérience vécue. En effet, le merveilleux que l’on peut qualifier de naturel dans ce contexte domine son récit. Par exemple, la description de l’ananas comme « fruit excellent entre tous ceux de l’Amérique » aux « odeurs de framboise » – transforme la simple notation botanique en éloge de tous les sens. Les animaux rencontrés au Brésil défient les catégories qui existent en Europe, tel le tapir décrit comme un animal « moitié vache moitié âne » ou encore les perroquets au plumage « vert comme émeraude ». Cette classification de la faune et de la flore rend compte de l’émerveillement suscité par l’exotisme, l’inconnu caractéristique des récits de voyage d’une époque marquée par les Grandes Découvertes. Elle révèle, dès lors, un monde où les frontières entre les espèces connues se brouillent.
L’originalité majeure de la démarche de Léry réside, par ailleurs, dans son relativisme culturel, comme le suggère le moment clé de la rencontre avec le vieux Tupinamba qui s’étonne de voir les Européens traverser l’océan pour chercher du bois rouge : « Vraiment, dit lors ce vieillard, vous autres Maïrs, c’est-à-dire Français, êtes de grands fols. » Ce renversement du regard fait du merveilleux un instrument critique : l’Européen devient l’être étrange aux yeux de l’Indien.
Enfin, la dimension théologique structure ce merveilleux. En effet, pour Léry, la nature brésilienne manifeste la gloire divine : « Ô Dieu, que tes œuvres sont merveilleuses ! » Mais cette théophanie naturelle s’accompagne d’une découverte troublante : les « sauvages » possèdent des vertus qui font honte aux chrétiens. Le merveilleux devient ainsi révélateur des contradictions de la civilisation européenne, anticipant, dès lors, les réflexions des Lumières sur le bon sauvage.
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