Stabilisation générale de nombreux États de la région

Les institutions politiques

L’Égypte, l’Irak, l’Iran et la Transjordanie sont des monarchies parlementaires, la Turquie, la Syrie et le Liban des républiques, toutes sises sur des Constitutions, avec des élections régulières. L’historien britannique Albert Hourani parle d’un « âge libéral », exagérément car les pouvoirs exécutifs sont hypertrophiés et les grandes puissances imposent leur domination.

En Turquie, Kemal instaure un parti unique et fait l’objet d’un véritable culte de la personnalité à partir de 1934. Le programme idéologique des « six flèches » est directement inspiré des États totalitaires : nationalisme, étatisme, principe révolutionnaire permanent. En Iran, l’État est investi par les militaires qui ont pris le pouvoir. En Irak, l’homme fort du régime est Nouri Saïd (1888-1958), ancien officier de l’armée ottomane qui a participé à la Révolte arabe. Il est chef d’état-major de l’armée en 1921, puis neuf fois ministre de la Défense avant d’être Premier ministre en 1930-1932. L’Irak connaît ensuite plusieurs coups d’État militaires pendant la décennie. En Transjordanie, la carrière militaire offre des perspectives au Bédouins au mode de vie menacé par la modernisation. En Égypte, l’Académie militaire fait de même pour de jeunes gens d’origine modeste.

En 1935, la Perse, devenue officiellement l’Iran dans les relations internationales, adopte un nouveau Code civil supprimant les tribunaux religieux. Des lois régissent le vêtement masculin (les mollahs y échappent cependant grâce à un permis spécial) et le voile de visage est interdit aux femmes en 1936. Le clergé défend cependant ses privilèges et ses taxes religieuses, tandis que le Chah a tendance à régner en autocrate.

La lente construction de l’État-nation

Chaque jeune État se pose la question de la nationalité, avec des codes qui reprennent en général le droit ottoman : la nationalité se transmet par le père. Elle est donnée au moment de la promulgation du code à ceux qui résident sur le territoire et parle l’arabe. Mais des exclusions se font sur base confessionnelle : les Kurdes du Liban français dirigé par les chrétiens maronites deviennent apatrides parce que musulmans, les chiites d’Irak aussi parce que soupçonnés d’être iraniens. Les Arméniens obtiennent a contrario la nationalité au Liban parce que chrétiens.

Des symboles (timbres, billets de banque) sont utilisés pour l’attachement national des populations, certains étant repris au passé préislamique : Pharaons pour l’Égypte, Phéniciens pour le Liban, Assyriens pour l’Irak, Empire perse pour l’Iran. La scolarisation progresse : en Égypte, un quart à un tiers des garçons sont scolarisés dans l’entre-deux-guerres ; en Syrie, les effectifs des écoles publiques croissent de 70 % entre 1928 et 1937. Les universités se développent, y compris en Palestine avec l’université hébraïque de Jérusalem inauguré en 1925.

Les États précisent leurs frontières, une nouveauté dans un espace où la circulation ne connaissait guère d’entraves ou de règlement du temps des Ottomans. En 1939, le sandjak d’Alexandrette (ou Hatay), avec une population d’un tiers de turcophones, revient à la Turquie, après près de vingt ans de négociation entre la Turquie et la Syrie sous mandat français. En échange, un accord anglo-franco-turc garantit un soutien turc aux autres pays en cas de guerre en Méditerranée. Dans ses territoires, la France encourage l’installation de populations chrétiennes sur la zone frontalière, jugées plus favorables à sa domination. Mais la présence de ces réfugiés est critiquée par les nationalistes syriens.

L’Arabie saoudite aussi connaît des tensions à ses frontières, entrant en conflit avec le Yémen, dirigé par l’imam Yahyâ (1869-1948) qui avait imposé sa domination sitôt la défaite des Ottomans en 1918. En mai 1934 est signé le traité de Taëf qui reconnaît la souveraineté saoudienne sur la région de l’Asir. L’imam yéménite renonce par ailleurs, pour une durée de 40 ans, à toute revendication sur les protectorats britanniques d’Aden et du sud de la péninsule. Le royaume yéménite est de son côté un État fragile, miné par le tribalisme. Cependant, à la fin des années 1930, les « Yéménites libres », formés d’étudiants partis au Caire, dirigés par les oulémas Ahmad Nu Man (1909-1996) et Mohamed Zubayri (1919-1965) réclament des réformes, mais dans une optique panislamique, influencé par les Frères musulmans et l’Association des Oulémas algérienne.

Mais des souverainetés sous contrôle étranger

Le mandat du Royaume-Uni sur l’Irak prend officiellement fin en juin 1930. Mais cela ne change rien au rapport de domination : le Haut-commissaire britannique devient ambassadeur dans le nouvel État qui relève toujours du protectorat « informel ». Le chef de gouvernement décide de continuer à concéder l’exploitation du sous-sol irakien à l’IPC. Le Royaume-Uni conserve des bases aériennes et le droit de déplacer des troupes dans l’ensemble du pays en cas de guerre. L’Irak fait son entrée à la SDN en 1932, parrainée par les Britanniques. Cependant, il existe une opposition des patriotes irakiens, mais ils ne parviennent pas à soulever les masses contre la présence britannique avant 1941.

En Égypte, un ambassadeur remplace également le haut-commissaire, mais le Royaume-Uni conserve une garnison de 10 000 hommes aux abords du canal de Suez, dont la Compagnie est toujours aux mains, depuis son inauguration en 1869, d’actionnaires français et britanniques.

Le protecteur peut se montrer autoritaire : les Français suspendent la Constitution au Liban de 1932 à 1936, dissolvent l’Assemblée constituante syrienne en 1930. En Égypte, les Britanniques obligent en 1935 le roi à revenir à la Constitution de 1923 qu’il avait tenté de remplacer. La France signe ensuite des traités de coopération avec la Syrie et le Liban en 1936 sous inspiration britannique : le gouvernement du Front populaire promet aussi l’indépendance en échange du maintien de bases militaires, mais les textes ne seront pas ratifiés par le Parlement qui trouve les minorités chrétiennes trop peu protégées.

Par contraste, la poudrière de la Palestine

La lente modification de la démographie de la région

Dans la campagne palestinienne s’implantent des colonies agricoles juives, certaines s’organisant selon les principes du socialisme agraire (kibboutz). Le journaliste Émile (Servan-) Schreiber en livre une description en 1933 dans Cette Année à Jérusalem : « Nous arrivons à la colonie Ain Harod, sur la route du lac de Tibériade […] Nous entrons aussitôt dans la grande salle à manger commune, qui peut contenir 300 convives. Très moderne, très propre, elle ressemble à s’y méprendre à celles que j’ai vues en URSS dans les sovkhozes […] La colonie fut fondée en 1922 et comprend 280 adultes, 180 enfants et 20 vieillards […] La colonie a réussi à cultiver petit à petit 650 hectares, principalement en cultures maraîchères. La colonie produit en outre des oranges, des pamplemousses, des fruits divers. »

De fait, l’immigration sioniste fournit de la main-d’œuvre à une économie d’exportation tirant profit de la hausse de la demande d’agrumes de la part des pays industrialisés.

En 1931, l’impact de la crise économique mondiale sur les communautés juives d’Europe et d’Amérique engendre un effondrement des contributions financières à l’Alliance juive, ce qui tarit les flux d’immigration. Mais l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne en 1933 entraîne un regain émigration : de nombreux Juifs allemands, puis autrichiens après 1938, fuient la politique antisémite. D’autant que, pour se débarrasser plus facilement des Juifs et pour mettre un terme au boycott des produits allemands lancé par les organisations juives, l’accord Haavara signé en 1933 entre l’Allemagne et l’Agence juive facilite le départ des Juifs et l’exportation postérieure de leurs biens en Palestine.

Mais cette présence (400 000 Juifs en 1936) bouleverse la démographie. À la fin des années 1920, les Britanniques décident de prendre leurs distances avec les projets sionistes. Le haut-commissaire Sir John Chancellor fait rédiger en 1930 un Livre blanc tempérant les conclusions du Livre blanc Churchill de 1922 qui était plus favorable à un développement démographique et économique du foyer sioniste : la colonisation rurale juive finira par provoquer un conflit majeur avec les Arabes et la politique migratoire de l’Agence juive est critiquée. Mais Chaïm Weizmann fait pression sur le Premier ministre Ramsay McDonald pour faire désavouer le Livre blanc.

Montée inexorable des tensions et de la violence

Les tensions intercommunautaires augmentent donc avec le temps sur fond d’indécision de l’administration britannique. Les Arabes boycottent les institutions mandataires, mais les sionistes, dont les cadres viennent d’Europe centrale et orientale, y développent leurs propres marges de manœuvre. Dès 1920, le Yichouv (communauté juive) élit sa première assemblée, la Knesset, dont émane un Vaad Leumi – Conseil national, avec des départements chargés des services publics (éducation, santé, culture, etc.).

En 1931 est créée l’Irgoun, issue d’une scission de la Haganah : nouvelle milice armée sioniste, elle engage une campagne d’attentats contre les Arabes. Le climat d’insécurité se développe : en 1933, des émeutes éclatent à Haïfa, Naplouse, Jérusalem et Jaffa, à la suite de dispersions musclées de manifestations arabes par la police britannique. Al Husseini décrète par fatwa que la vente de biens fonciers aux Juifs est un péché. Le cheikh Izz al-Din al-Qassam (1882-1935) dirige le brigandage armé dans les campagnes de Galilée contre les colons juifs au printemps 1935, avant d’être tué par la police britannique en novembre. De leur côté, les Juifs font échouer la politique du haut-commissaire Arthur Wauchope qui, à partir de 1931, voudrait créer une assemblée représentative de toute la population de Palestine, mais dont le foyer sioniste ne compterait que pour un quart.

Consolidation du nationalisme arabe dans la seconde moitié des années 1930

Un sursaut national égyptien en 1935

En 1935, des manifestations de nationalistes égyptiens font plusieurs victimes. Le mouvement gagne ensuite la Syrie paralysée par la grève générale à partir de janvier 1936. La loi martiale est décrétée et plus de 3 000 personnes arrêtées. Le gouvernement britannique conservateur de Stanley Baldwin entame des discussions auxquelles participe le Wafd. Elles aboutissent au traité de Londres d’août 1936 : l’Égypte obtient le contrôle total de sa politique intérieure et extérieure, mais reconnaît le caractère vital du canal de Suez pour les intérêts de l’Empire britannique. L’Égypte intègre la SDN en 1937 avec au passage abolition des dernières capitulations encore accordées aux Occidentaux par la convention de Montreux. Le Wafd voit le texte comme une victoire diplomatique. Ce précédent dans le monde arabe contribue à renforcer la centralité de l’Égypte dans le panarabisme.

La grande révolte arabe de Palestine de 1936

Après la proclamation de l’état d’urgence par le Royaume-Uni, une grève générale spontanée éclate, reprise en main par les partis politiques palestiniens qui forment un Comité suprême arabe. La médiation des souverains arabes d’Irak, de Transjordanie et du Yémen parvient à calmer le jeu, mais la révolte reprend à l’automne après l’assassinat du commissaire britannique pour le district de Galilée par des Arabes armés. Al-Husseini fuit au Liban, puis en Irak. Les violences sont multiples, y compris entre Arabes, certains étant jugés trop complaisants avec les sionistes ou avec l’occidentalisation en ville. La répression britannique est sévère : loi martiale, amendes collectives, condamnations à mort, 4 000 Arabes sont tués en trois ans, 6 000 personnes emprisonnées en 1939 quand le territoire est enfin pacifié. Cette révolte arabe est la plus importante révolte anticoloniale de l’Empire britannique de l’entre-deux-guerres.

En 1937, le rapport de la commission britannique Peel sur les violences envisage un partage de la Palestine, entre deux États, juif et arabe. En 1939, Les Britanniques annoncent dans un troisième Livre blanc une limitation drastique de l’immigration juive (75 000 entrées en 5 ans) et proposent lors d’une conférence à Londres un plan de partage de la Palestine, plutôt favorable aux Arabes. Mais il est refusé par toutes les parties, par les Arabes qui n’ont plus confiance ou l’Agence juive qui met en avant la nécessité de l’immigration devant les persécutions antisémites en Europe qui s’étendent avec l’entrée en guerre de l’Allemagne nazie en Pologne. David Ben Gourion (1886-1973), président de l’Agence juive depuis 1935, préconise une politique d’immigration clandestine, voire la désobéissance civile envers la Grande-Bretagne. Enfin, la question de Palestine devint une cause arabe : le roi Abdelaziz Saoud, le roi Abdallâh de Transjordanie ou encore le gouvernement irakien demandent l’arrêt de l’immigration sioniste et l’inclusion du foyer national juif (pour lequel ils rejettent toute idée de constitution en État) dans une fédération arabe dirigée par les Hachémites (d’Irak ou de Transjordanie).

La révolte des conseils (majlis) dans le Golfe en 1938

Dans les émirats sous protectorat britannique (depuis la fin du XIXe siècle), les lacunes de l’administration, le sous-équipement en matière de santé et d’éducation et l’arbitraire du dirigeant, attisent les mécontentements, comme à Bahreïn ou au Koweït. Là-bas, l’exploitation pétrolière a été concédée en 1934 par le cheikh Ahmad al-Sabâh à l’APOC et à la Gulf Oil Corporation américaine, réunies dans la Kuwait Oil Company. L’oligarchie marchande, soutenue par une jeunesse éduquée inspirée par l’Irak, revendique dès 1936 des réformes institutionnelles et l’abdication du cheikh Ahmad. Plusieurs membres du mouvement se réfugient en Irak.

La pression du parti réformiste clandestin, de la presse, de l’Irak et des Britanniques fait accepter au cheikh l’institution d’un Conseil législatif de 14 membres, élus en juin 1938 par 150 électeurs issus de grandes familles sunnites koweïties. Mais le Conseil législatif finit par être dissous en décembre. Un second conseil formé est également dissous en mars 1939 par le cheikh Ahmad qui ne veut pas lui concéder la gestion des affaires pétrolières.

EN RÉSUMÉ