En quoi le merveilleux nervalien transforme-t-il l’expérience de la folie en quête mystique ?

Dans Aurélia, Gérard de Nerval révolutionne la conception du merveilleux en transformant l’expérience pathologique, c’est-à-dire les épisodes de crises de folie en révélations spirituelles. Cette œuvre posthume, publiée en 1855, constitue, en effet, le récit d’une « descente aux enfers » qui devient paradoxalement une ascension mystique. Le narrateur, double de Nerval lui-même, traverse des états de conscience altérés qu’il refuse de qualifier de « maladie », affirmant au contraire : « jamais je ne me suis senti mieux portant ».

Ainsi, le merveilleux nervalien se caractérise par ce qu’il nomme « l’épanchement du songe dans la vie réelle ». Cette formule révèle la spécificité de son approche : il ne s’agit plus d’opposer rêve et réalité, mais de décrire leur interpénétration progressive. Les visions du narrateur – rencontres avec des doubles, voyages dans des mondes parallèles, révélations cosmiques – ne sont pas présentées comme des hallucinations, mais comme des perceptions d’une réalité plus profonde. Aussi cette approche anticipe-t-elle les découvertes de la psychanalyse sur l’inconscient.

En outre, l’influence des traditions ésotériques structure le récit. Nerval convoque, en effet, explicitement Dante, Apulée et Swedenborg comme modèles. La descente aux enfers devient, dès lors, un parcours initiatique où chaque vision révèle un aspect caché de l’univers. La figure d’Aurélia elle-même incarne cette dimension mystique : elle n’est plus seulement la femme aimée, mais devient, dans la révélation finale, l’incarnation du féminin éternel : « Je suis la même que Marie, la même que ta mère, la même aussi que sous toutes les formes tu as toujours aimée. »

Ainsi, cette transformation du délire en gnose fait d’Aurélia une œuvre unique. Le merveilleux n’y est plus un simple ornement littéraire, mais il devient une méthode de connaissance, anticipant les explorations surréalistes de l’inconscient. L’originalité de Nerval réside dans cette capacité à maintenir une lucidité critique au cœur même de l’expérience visionnaire, créant ainsi un merveilleux moderne qui refuse de choisir entre raison et déraison.

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