Si jeu rime avec enfance, c’est parce que nous passons, enfants, un nombre incalculable d’heures à jouer, seul ou avec des amis. Jouer participe pleinement à la construction de notre imaginaire et de notre identité. Avec ses règles plus ou moins complexes, ses stratégies et ses prises de risque, le jeu nous permet également de nous exercer au vivre ensemble.

Adulte, le temps passé à jouer se restreint et les jeux prennent d’autres formes mais ils n’en restent pas moins un merveilleux remède pour tromper l’ennui.

Dans sa très célèbre pièce de théâtre, En Attendant Godot, écrite en 1948, le dramaturge Samuel Beckett explore avec deux pauvres âmes en marge de la société, deux clochards nommés Vladimir et Estragon, le thème de l’attente : en effet, l’intrigue entière de cette pièce du théâtre de l’absurde se résume dans le fait qu’ils attendent Godot qui, par ailleurs, enverra à la fin de l’acte I un messager dire qu’il viendra le lendemain ! L’acte II semble s’ouvrir sur une nouvelle journée d’attente dans laquelle ils retrouvent deux autres personnages, Pozzo et Lucky, comme la veille, sans que personne ne se souvienne de rien. À la fin de l’acte, le messager vient délivrer le message identique. Certains voient en Godot dieu (en anglais God) renvoyant les deux clochards à attendre la mort mais Samuel Beckett a toujours refusé d’entendre cette interprétation. Vladimir et Estragon tuent le temps : ils conversent, se disputent pour mieux se réconcilier, s’inventent des jeux, chantent, dansent, encore et encore…

À la cour de France aussi, on joue ou plutôt on joute pour se divertir. Dans le film de Patrice Leconte, Ridicule, sorti en 1996, les jeux de mots sont omniprésents et la cour organise des joutes oratoires cruelles. Le jeune aristocrate désargenté, Grégoire Ponceludon de Malavoy, est venu à Paris dans le but de réclamer au roi les moyens d’assécher le marais sur ses terres à l’origine d’épidémies ravageant ses paysans. Mais le roi semble inaccessible même pour un noble. Trouver le bon mot afin de se faire remarquer à la cour semble la meilleure manière pour se frayer un chemin rapide afin d’obtenir une audience avec le roi Louis XVI. Mais, attention, aucun écart n’est permis : celui qui échoue à manier le beau langage tombe en disgrâce.

Avec Cent mille milliards de poèmes, publié en 1961, Raymond Queneau offre à ses lecteurs la possibilité de composer lui-même une multitude de sonnets (14 vers répartis en 2 quatrains et 2 tercets). Autre célèbre performance littéraire de l’artiste : Les Exercices de style, ouvrage dans lequel Raymond Queneau raconte 99 fois la même histoire de 99 manières différentes. Poète, romancier et dramaturge, Raymond Queneau est cofondateur de l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), un groupe d’écrivains pratiquant les jeux et les défis d’écriture à l’image de cet incroyable roman, La Disparition, de Georges Perec, écrit sans aucun e.