Rousseau, dans l’Émile, écrit : « Il ne suffit pas pour s’instruire de courir les pays. Il faut savoir voyager. Pour observer il faut avoir des yeux et les tourner vers l’objet qu’on veut connaître. Il y a beaucoup de gens que les voyages instruisent encore moins que les livres ; parce qu’ils ignorent l’art de penser, que dans la lecture leur esprit est au moins guidé par l’auteur, et que dans leurs voyages ils ne savent rien voir d’eux-mêmes. » C’est dire que savoir voyager requiert certaines vertus : la disponibilité, la réceptivité, la patience, l’ouverture d’esprit, la discrétion… À cet égard, il est des mauvais voyageurs, trop ethnocentrés, trop imbus d’eux-mêmes, incapables d’observer ou de remettre en question leurs valeurs et leurs préjugés.
On peut d’ailleurs se demander si le but du voyage est d’acquérir (des savoirs, des objets, des expériences, des certitudes...) ou de perdre (des préjugés, des habitudes, un peu de son orgueil...). Si l’on se fie à ce qu’écrit, dans le Poisson-scorpion, Nicolas Bouvier, grand écrivain voyageur, « on ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. » Le voyage serait donc l’occasion d’un dépouillement, d’un décentrement, d’une simplification radicale de l’existence et du rapport à soi et aux autres.
Quoi qu’il en soit, savoir voyager est un art exigeant, et le tourisme de masse n’arrange rien. Comment le voyageur peut-il se faire discret quand il fait partie d’une cohorte de touristes ? Comment peut-il aller à la rencontre de l’autre quand l’autre s’adapte à la demande touristique ou la fuit ?