Rodolphe Christin, sociologue et essayiste, a publié, en 2014, L'Usure du monde, critique de la déraison touristique, version désenchantée de L’Usage du monde, le beau livre de l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier. L’industrie touristique, du fait de sa démocratisation, des évolutions du transport, des efforts d’aménagement du territoire, de la création d’infrastructures adaptées, serait devenue une véritable norme sociale : pour beaucoup, dans les pays riches, être en vacances signifie partir.
Or, le tourisme est loin d’être une industrie vertueuse : l’usage de l’avion et des bateaux de croisière est très polluant. Des études récentes évaluent à 8% la part du tourisme dans la production de gaz à effet de serre par les activités humaines. Mais, le tourisme marque aussi de son empreinte les paysages, et la surfréquentation des lieux nuit aux habitants. Enfin, la mentalité consumériste et égocentrée se satisfait de peu : le touriste se réjouit de retrouver des enseignes qu’il connaît et passe moins de temps à regarder ce qu’il visite qu’à le photographier pour se mettre en valeur à coup de « selfies ». Un autre auteur, Jean-Didier Urbain, parle du touriste comme d’un « idiot du voyage ».
Certes, on dira que le voyage ne se réduit pas au tourisme de masse et ne doit surtout pas être confondu avec lui. Rodolphe Christin le reconnaît : « La part du voyage est la part initiatique nichée en secret dans le fait de se mouvoir dans un monde inconnu, qui oblige à faire l'expérience d'une sorte de déconditionnement. Cela implique de sortir de ses repères cognitifs, d'opérer une forme de rupture relative avec les normes de sa culture d'origine et d'entrer dans un univers qui dépasse nos bornages identitaires. » Mais, il souligne toutefois que c’est une question délicate car la distinction entre voyage et tourisme est peut-être plus sentimentale qu’objective. Ne faut-il pas se défier des conceptions trop romantiques du voyage et voir le voyage pour ce qu’il est, un luxe souvent vain ?